Critique des conditions de la durabilité: application aux indices de développement durable. (Bruno Kestemont)

 

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PREMIERE PARTIE: MODELES ECONOMIQUES DU DEVELOPPEMENT INSOUTENABLE

 

INTRODUCTION

 

Les théories économiques jouent aujourd’hui un rôle majeur pour justifier un nombre croissant de décisions sur le développement . Nous allons analyser la place que tient l’économie dans le concept de développement durable . Nous verrons comment, et pourquoi, la théorie néoclassique a pris une position hégémonique, alors même qu’elle pourrait bien être, par essence, la théorie du développement insoutenable.

 

Après avoir rappelé que ses hypothèses fondamentales ne se vérifient pas dans le monde réel, nous donneront quelques exemples de ses avatars ayant eu le plus d’impact sur la vie des gens, comme la politique des institutions de Breton Wood.

 

Mais la théorie néoclassique a également des ramifications jusque dans le domaine de la gestion de l’environnement ( et bien entendu du social). Nous poserons un regard critique sur les théories de l’économie de l’environnement et les solutions qu’elles suggèrent.

 

Nous terminerons cette partie en présentant succinctement quelques théories alternatives susceptibles, si pas de mener au développement durable , au moins d’aider à limiter les dégâts.

 

 

CHAPITRE I. LA PLACE DE L’ECONOMIE DANS LE DEVELOPPEMENT DURABLE

 

Introduction

 

Définition du développement durable

 

Il y a des dizaines de définitions différentes du développement durable . Si ces définitions sont en partie déterminées par le contexte de leur production, elles comportent cependant certains éléments communs (Zaccaï, 2002, 30):

 

«… elles mettent toutes en relation les activités du présent et du futur dans une recherche d’équilibre (au minimum), et si possible d’amélioration, pour le futur (…) . Mais au-delà de ce noyau minimal, certaines mettent en évidence le respect des conditions environnementales, d’autres des conditions relatives au développement , et portant tantôt sur la non décroissance, la coordination, l’équité, l’amélioration des conditions de vie, ou sur d’autres aspects encore».

 

Limitons-nous à une des définitions les plus citées d’un point de vue global , celle de Brundtland:

 

«le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs[15]».

 

Cette définition est suffisamment ouverte que pour permettre de multiples interprétations. Zaccaï (2002) montre bien à quel point les différentes définitions du développement durable , et les «conditions» de sa mise en place, dépendent des contextes culturels au sens large (notamment la discipline des auteurs). Il retient quatre caractéristiques opérationnelles comme «lignes de débats» à laquelle il en ajoute une cinquième(p. 39):

 

«-promotion de la protection de l’environnement;

Nous nous tiendrons à cette conception en nous concentrant sur la vision mondiale et le souci d’équilibre dans toutes les dimensions. En particulier, une des conditions du développement durable nous intéresse plus particulièrement: c’est que le développement, à quelque échelle que ce soit, doit être avant tout endogène et appuyé par des échanges équitables, càd excluant la prédation sur quelque dimension externe que ce soit. En particulier, le développement ne doit pas se faire au détriment de l’environnement ou d’autres sociétés présentes ou futures (ou même passées). Dans un tel système, chacune des dimensions doit avoir, concrètement ou virtuellement, droit au chapitre.

 

Le rôle central de l’économie[17]

 

Les théories économiques sont probablement celles qui ont eu ces derniers temps , en tant que telles, le plus d’influence sur les décisions. Songeons à la guerre froide, lutte idéologique et géopolitique certes, mais surtout lutte entre deux conceptions différentes de l’économie . L’actuelle offensive néolibérale au niveau planétaire en reste l’illustration. Comme le caractère hégémonique des théories économiques représente selon nous un des risques les plus élevé – non le seul - pour le développement durable , nous nous y attarderons quelque peu. Les théories scientifiques sur la formation du trou d’ozone, par exemple, sont également importantes, mais elles ne s’imposent pas comme modèle pour gérer tous les aspects de la vie des gens.

 

Du point de vue du rôle central de l’économie , la «prise en compte du reste du monde » concerne pour commencer les autres disciplines scientifiques comme par exemple les sphères sociales et environnementales. Les autres «restes du monde», par exemple les générations futures ou les autres pays , seront traités plus loin.

 

Commençons donc par déterminer la zone de pertinence des théories économiques.

 

Délimitation du domaine d’intervention de l’économie

 

Faucheux et al (1995) font clairement la distinction entre ce qui relève de l’économie et le reste. Pour Passet (1979), la nature, l’économie et la société sont des sphères séparées ayant des impacts l’une sur l’autre. La sphère économique est strictement contenue dans des limites au-delà desquelles elle ne peut pas apporter de solution, sauf à apporter des artifices, dans le cadre des théories «standard» de l’économie de l’environnement dont ces auteurs expliquent clairement les limites ou les contradictions.

 

Les trois sphères[18] (d’après Passet, 1979)

 

Remarquons que l’économie [19] n’englobe pas le reste. Mais sa croissance peut se faire au détriment des autres sphères. Les fondateurs de la science économique considéraient la nature et l’économie comme deux sphères pouvant être gérées séparément (Faucheux, 1995). L’homme puisait dans des ressources infinies et rejetait des déchets dans un environnement infini. Il leur suffisait d’optimiser le fonctionnement de la sphère économique sans se soucier de l’environnement, du moins tant que celui-ci ne présentait pas de limites ou de préjudices directement assimilables en terme de préférences par l’homme. La première limite est apparue d’un point de vue biologique(il fallait bien une limite à la croissance démographique). Mais la confiance dans le progrès technico-économique permettait d’entretenir l’espoir d’une croissance infinie (on finirait par envahir l’espace, les abysses etc.). Avec Malthus, puis avec le Club de Rome (Meadows, 1972), on prit conscience que la nature ne pourrait pas indéfiniment supporter la croissance économique (au moins dans ses aspects matériels). L’environnement devenant un problème, les économistes ont voulu s’y intéresser, créant des théories sur l’économie de l’environnement basés sur les théories précédentes (voir Faucheux 1998 pour l’historique, l’exposé et les limites de ces théories). Toutes ces théories comportent des contradictions internes et externes:

Faucheux et les économistes écologiques proposent donc de recentrer[20] l’économie sur son domaine d’intervention (la sphère marchande), et d’accepter le principe de la décision multicritères (multidisciplinaire) pour tout problème de développement dans une perspective de développement englobant plusieurs sphères simultanément.

 

Pour qu’un problème donné relève uniquement de la sphère économique, et puisse être résolu par une théorie économique (marchande), il faut que tous ses éléments relèvent de la sphère économique. Ceci suppose une série de conditions sur chacun de ces éléments, conditions que nous résumons dans l’arbre ci-dessous.

 

Délimitation du domaine d’intervention de l’économie [21]

 

Toute action économique est susceptible d’avoir des répercussions sur les autres sphères. On les a appelé externalités dans la mesure où ce sont précisément des impacts extérieurs à l’échange marchand, car «d’une nature telle qu’un paiement ne puisse être imposé à ceux qui en bénéficient ni une compensation prélevée au profit de ceux qui en souffrent» (Pigou, 1920). Elles peuvent être positives ou négatives et représentent d’après Pigou la différence entre le coût social et le coût privé (Faucheux, 1995).

 

Différentes manières d’étendre le domaine d’action de la science économique?

 

La science économique est peu à peu devenue un outil de pouvoir dans les sociétés modernes. Que l’on songe aux grands clivages politiques: ils se basent aujourd’hui beaucoup sur une différence de théories économiques, auxquelles on a ajouté une couche idéologique.

 

Aujourd’hui, on peut dire que la théorie économique néoclassique a «vaincu» toutes les autres théories en même temps que s’imposait la puissance des Etats qui l’ont mis en oeuvre. Cependant, l’idéologie qui l’accompagne semble avoir perdu le contact avec ses fondements théoriques. Attaqué de toutes part (tant sur le plan éthique que sur le plan de la durabilité), les théoriciens néolibéraux cherchent aujourd’hui à adapter la théorie pour qu’elle puisse confirmer si pas étendre son domaine de pertinence. En sapant les fondements mêmes de la théorie (contradictions internes), certaines tentatives peuvent mener à une situation «stalinienne» où la politique perd progressivement tout fondement scientifique.

 

Le graphe ci-dessous montre quelques uns des outils permettant d’étendre artificiellement le domaine d’intervention de la sphère économique.

 

Quelques méthodes pour augmenter la zone d’influence de l’économie

 

On voit que même avec la pire volonté du monde, il restera toujours des domaines d’interventions inaccessibles à l’économie (la pensée par exemple). D’autre part, on voit que toute tentative d’étendre la zone de pertinence de la sphère économique demande nécessairement de passer par des phases historiques en contradiction avec le modèle lui-même, quel qu’il soit. Or, comme les générations se succèdent, ce processus demande un éternel recommencement: même après des années de dictature, aucune hypothèse économique ne sera jamais vérifiée en dehors de la sphère marchande.

 

Par exemple, pour approprier ce qui n’est pas appropriable, il n’y a pas d’autre solution que de limiter les libertés, les droits de l’homme et l’égalité des chances. Ce qui est une contradiction avec la théorie néoclassique qui part de l’hypothèse de libre accès au marché (en particulier de la main d’œuvre), mais aussi avec les théories marxiste et keynésienne (qui misent sur l’égalité).

 

Pour internaliser les coûts externes, il faudrait prendre des mesures hors marché (déterminer un coût social sous forme de taxe, ou interdire pour créer un coût indirect), en contradiction avec la doctrine. Pour marchandiser envers et contre tout, il faut aller à l’encontre de la volonté des acteurs eux-mêmes, et forcer les élasticités réelles de substitution , nouvelles contradictions. Pour assurer l’avènement d’un marché de concurrence libre et parfaite, il faut pénaliser les Etats ou les individus «conservateurs», et accepter le principe de la constitution libre de monopoles ou de cartels allant eux-mêmes contre cet idéal.

 

De même pour d’autres modèles, on observe souvent une contradiction entre la genèse et l’objectif. Arriver à la société communiste nécessitait la «dictature du prolétariat» qui s’est souvent avérée être une dictature sur le prolétariat sans que jamais ne se dessine l’heureux lendemain attendu. Marx lui-même critiquait le collectivisme qu’il appelait «communisme vulgaire», dans la mesure où il s’agissait d’une socialisation de la propriété privée, soit la forme la plus aliénée de l’évolution économique et sociale du monde occidental (Temple, 1987c).

 

«Le premier dépassement positif de la propriété privée, le communisme vulgaire, n’est qu’une manifestation de l’ignominie de la propriété privée(…) En niant partout la personnalité de l’homme, ce communisme-là n’est autre que l’expression conséquente de la propriété privée qui est elle-même cette négation.» (Marx, 1844).

 

Toute tentative d’augmenter la zone de compétence de l’économie est donc non seulement vouée à l’échec, mais très risquée sur le plan éthique. La fin ne peut pas justifier les moyens, au contraire: le but, c’est le chemin.

 

Pour cette raison , il se trouve de moins en moins d’économistes pour revendiquer l’hégémonie de l’économie pour la résolution des problèmes nationaux et internationaux. La conséquence pratique est que des indicateurs non économiques restent indispensables, et que les décisions optimales du monde réel ne sont toujours ni purement technocratiques (calculées par des économistes savants), ni laissées à la «main invisible» du marché .

 

La victoire du modèle néoclassique : est-elle méritée?

 

«D’une manière générale, les effets positifs du système de marché sont largement admis aujourd’hui, bien plus qu’il y a une dizaine d’années» (Sen, 1999, 2003 p.44).

 

«La crédibilité de ce modèle néo-libéral, compétitiviste, dérégulateur, anti-étatique, explose littéralement après la chute du mur de Berlin. Il triomphe et apparaît aujourd’hui comme le seul détenteur d’une légitimité mondiale. Ce qui fait dire que nous sommes dans un régime de pensée unique» (Bajoit, 1997, p. 22).

 

 «L’histoire est passée sur (les autres) conceptions. Pourtant, elle ne les a pas invalidées scientifiquement – on ne peut pas affirmer qu’elles soient fausses - , mais elle les a rendues peu à peu non pertinentes. (…) On observe depuis une vingtaine d’années un grand affaiblissement de la croyance en l’Etat comme acteur du développement » (Bajoit, 1997, p. 21).

 

Les Etats qui ont obtenu les meilleurs résultats en terme de croissance économique et d’amélioration des conditions de vie sont des Etats ayant opté au moins en partie pour le marché concurrentiel. Le fait que le PIB par habitant soit souvent[26] corrélé avec les indicateurs sociaux en est un signe «évident» pour de nombreux observateurs.

 

La victoire du libéralisme et, de manière générale, de la «civilisation occidentale» sur les autres civilisations semble inéluctable (voir annexes sur le recul des cultures).

 

Mais quelle est la cause de cette «évidente» efficacité?

 

«(Pour les économistes), un mécanisme de marché concurrentiel favorise un niveau d’efficacité qu’un système centralisé serait incapable d’obtenir, à la fois pour des raisons d’économie d’information (sur le marché, chaque acteur peut remplir son rôle en disposant de peu de savoir) et de compatibilité des objectifs (sur le marché encore, toutes les actions fragmentaires se complètent)». (Sen , 1999, 2003 p.45).

 

Malheureusement, cette interprétation théorique de la victoire du libéralisme ne tient plus la route dès lors que l’on regarde de plus près les résultats au Sud de la planète, où les Etats les plus libéraux se sont cassés les dents les uns après les autres (par exemple l’Argentine, le Brésil etc). L’échec des ajustements structurels prônés par le FMI et la Banque mondiale dans les pays du Sud (voir Stiglitz, 2002, et annexe 2) et la nécessité de plus en plus grande du libéralisme d’en venir à la force pour limiter les libertés (d’immigration) ou pour assurer l’accroissement de ses ressources (pétrolières) achève de ternir cet enthousiasme. De plus, le marché concurrentiel mène à des bons résultats agrégatifs mais il n’en assure pas la redistribution (Sen, 1999). Dans une économie de marché dérégulée, la pauvreté moderne (Bengoa, 2000) peut se développer sous couvert d’un revenu par habitant élevé.

 

Nous postulons qu’ il existe une deuxième explication de l’efficacité du marché concurrentiel.

 

C’est que le marché concurrentiel bénéficie par essence[27] de ses externalités négatives sur les trois sphères du développement durable :

  • la sphère sociale(perte d’éthique, accroissement des inégalités);

  • la sphère environnementale (voir Rees, Faucheux, Daly etc);

  • la sphère économique(les autres modèles économiques, les pays concurrentiels les plus faibles, l’économie non marchande)

 

… et sur les générations futures .

 

Conclusion

 

Même si le développement durable concerne différentes sphères et dimensions, force est de constater que l’horizon proche et la sphère économique dominent aujourd’hui largement les processus de décision .

 

Nous avons tenté d’analyser pourquoi l’économie , en particulier avec la théorie néoclassique , s’est imposée comme discipline dominant les décisions d’enjeu planétaire.

 

Nous avons postulé que la théorie néoclassique tient autant son succès de ses qualités intrinsèques que du support géopolitique et culturel dont ses défenseurs ont pu bénéficier.

 

Nous avons suggéré que l’économie a une propension à étendre sa sphère de responsabilité au détriment d’autres sphères, que ce soit l’environnement, le social ou des horizons spatiaux et temporels éloignés.

 

 

CHAPITRE II. LA THEORIE NEOCLASSIQUE

 

Introduction

 

La théorie néoclassique fait aujourd’hui foi en économie . Elle prétend même, non sans quelque tricherie avec ses propres «principes fondamentaux», s’occuper de l’environnement, du social, du futur, bref du développement durable .

 

Nous allons voir sur quelles hypothèses fondamentales elle repose et mettre en évidence leur extrême fragilité. Il se pourrait que la théorie néoclassique et les présupposés culturels sur lesquels elle s’appuie, soient la principale cause de la non durabilité des décisions de ces trente dernières années.

 

Les adaptations de la théorie, comme l’internalisation de ses coûts externes et la privatisation à outrance, pourraient n’être que des emplâtres sur des jambes de bois. Outre les incohérences internes relatives à la doctrine elle-même – et qui infirment ses recommandations – nous verrons que son application dogmatique peut mener à des résultats sans précédent en ce qui concerne l’échelle, la gravité et les problèmes éthiques qu’ils soulèvent.

 

Rappel des hypothèses de la théorie néoclassique

 

Les différentes théories de l’économie de l’environnement découlent toutes de la théorie néoclassique (Faucheux,1995). Ces théories permettent de développer les instruments dits «économiques» de gestion de l’environnement et du social, instruments en pleine extension (OCDE, 1999) dans le cadre du principe du «pollueur-payeur» dont la connotation éthique ne doit pas faire illusion[28]. Il est donc intéressant de se poser quelques questions sur les hypothèses fondamentales de la théorie néoclassique.

 

En voici quelques unes (d’après Rees, 2001 – les italiques sont de nous):

-concurrence parfaite(libre circulation des facteurs de production);

-infinité d’acteurs rationnels;

-connaissance parfaite des marchés présents et futurs par tous les acteurs;

-infinité de marchés futurs;

-réduction des marges de production et de consommation[29];

-société marchande[30]

 

Pour Rees (2001), l'économie conventionnelle ne peut pas résoudre la crise écologique, pas plus qu’elle ne peut résoudre la crise du bien-être. L’annexe 4 reprend le résumé d’une de ses conférences où il dénonce une série de limites des modèles économiques dominants pour arriver à présenter une vision plus globale de l’économie, dans la ligne de l’économie écologique dont il sera souvent fait mention dans notre travail.

 

Nous proposons dans les chapitres qui suivent de voir plus en détail certaines des hypothèses fondamentales de la théorie néoclassique , et de l’économie marchande en général. Nous chercherons ensuite à savoir quels modèles alternatifs peuvent permettre de prendre de la hauteur pour percevoir le développement durable au delà de la seule sphère marchande. Ce n’est que quand nous aurons pris suffisamment de recul, nous pourrons commencer à nous interroger sur les indices ou indicateurs pertinents d’un point de vue global .

 

L’utilitarisme

 

La somme des utilités des acteurs est sensée maximiser l’utilité globale. Toute la théorie néoclassique repose sur cette théorie de la justice, fondée sur l’égoïsme primaire des agents.

 

La théorie utilitariste a la vie la plus dure en Occident , où l’idéal d’altruisme est paradoxalement le plus fort[31]. L’altruisme lui-même se résumerait théoriquement (mais contre-intuitivement) à un égoïsme intelligent[32]. On interprétera tout acte généreux en terme d’intérêt individuel. L’utilitarisme tente de nier la part sociale qui est en nous, alors que le dogme utilitariste nous rend incompréhensibles nos propres attitudes «irrationnelles», les attitudes d’autrui, la théorie économique d’Aristote et même le comportement des animaux sociaux. Les expériences comportementales en théorie des jeux ne trouvent qu’entre 20 à 30% d’individus complètement égoïstes (Fehr et Gächter, 2000). Cette trop faible proportion déforce le caractère prétendument universel de l’utilitarisme, qui s’est trop directement inspirée de la théorie de l’évolution de Darwin (darwinisme social).

 

Sen (2003, p.87) reconnaît des vertus opérationnelles à l’utilitarisme [33], mais en souligne les limites importantes, dont notamment:

 

  • l’indifférence distributionnelle (il oublie la répartition de ses bienfaits);

  • un total désintérêt pour les droits, les libertés et les autres questions non liées à l’utilité;

  • son adaptation au conditionnement mental (l’utilité dépend du contexte et est dès lors très injuste pour les personnes dont les conditions d’existence sont très pénibles et qui, par adaptation, «se satisfont de peu»).

 

Je reviendrai sur l’importance de l’éthique. La troisième critique ne concerne pas seulement les plus démunis. A l’autre bout de l’échelle sociale, cette relativité du bien-être mène à la course aux dépenses de prestige tant dans la société marchande[34] que dans les sociétés traditionnelles (Brekke et al., 2003). Cette caractéristique du comportement humain ne mène pas seulement à une déficience du marché à satisfaire le bien-être général[35]. Il met également en péril l’environnement, dans la mesure où, pour reprendre la vieille formule économique «les besoins sont illimités»[36].

 

L’hypothèse de croissance infinie

 

La théorie de la croissance postule une croissance infinie (pour répondre aux besoins illimités). Suite aux critiques du Club de Rome (Meadows et al, 1972), Solow (1973) répond que la dématérialisation de l’économie permet une croissance infinie. Lux (2003) résume la littérature à ce sujet, démontre qu’il n’y a en pratique et théoriquement à la marge pas de croissance sans croissance matérielle, rappelle les limites sociales à la croissance et conclut avec Daly (1993) que la théorie de la croissance[37] soutenable est un théorème impossible.

 

Hypothèse de rationalité des acteurs, et hypothèse d’efficience informationnelle des marchés.

 

Contre l’hypothèse de la rationalité des acteurs, on peut opposer l’évidence de leur irrationalité. La vérité est que les acteurs agissent avec un mélange de rationalité et d’irrationalité, de pulsions, ou d’émotions. L’approche psychologique du marketing, des techniques de vente et de la publicité démontrent à souhait que ce qui compte, c’est de convaincre l’acheteur potentiel de prendre la décision d’acheter, «sur un coup de tête» et parfois pour des raisons subliminales, inconscientes, autant que pour des raisons objectives. Il est évident que la qualité ou l’apparence du vendeur, de la devanture ou de l’emballage ont un rôle essentiel à jouer, fort éloigné de l’utilité intrinsèque du produit. Cette utilité intrinsèque est elle-même ambiguë quand il s’agit par exemple de biens de prestige ou de conformation sociale.

 

Les «biais» de perception statistique des acteurs sont quasi systématiques. La théorie du prospect de Kahneman et Tversky (1979) sur les décisions des gens en condition d’incertitude, et Kahneman ( 2003) relèvent par exemple que les gens sont souvent en proie à des illusions cognitives:

  • l’aversion au risque est plus forte quand il s’agit de gains que de perte (l’asymétrie peut aller du simple au double)[38];

  • les gens apprécient et évaluent plutôt les changements de situation que les situations;

  • il y a un effet de possession sur les objets: on n’attache pas la même valeur à un objet suivant qu’on le possède ou non[39];

  • on a tendance à surpondérer les événements à faible probabilité et à souspondérer les événements à forte probabilité;

  • les préférences sont plutôt relatives qu’absolues[40]

 

Enfin, comme nous le verrons plus loin, les gens ont une propension à punir «à perte» les comportements déviants et à récompenser, même sans avantage individuel direct ou différé, les personnes perçues comme altruistes.

 

D’autre part, l’hypothèse d’efficience informationnelle des marchés considère que le marché compense l’impossible «information parfaite» des acteurs individuels. Si un grand nombre d’acteurs (idéalement une infinité d’acteurs) connaissent chacun une partie de l’information, la somme de leurs actions et supposée intégrer l’ensemble de l’information et leurs lacunes se compenser. Le marché retrouverait ainsi l’information parfaite nécessaire à la théorie néoclassique .

 

Mais même en cas de rationalité optimale des acteurs individuels, la société dans son ensemble, comme somme des décisions de chacun, peut adopter des choix irrationnels. Si l’on considère la Bourse comme l’exemple type de la détermination de valeur par une «infinité» d’acteurs informés, force est de constater que cette hypothèse ne tient pas. Les bulles spéculatives[41] et les crash boursiers qui les suivent (comme en 1929 et 1987) apparaissent en effet comme des aberrations, des dysfonctionnement manifestes du système de formation des prix par conjonction de l’offre et de la demande. Shiller (2000) montre que les crashes boursiers de 1929 et 1987 ont tous deux été précédés par une surévaluation record des actions américaines par rapport à leur valeur fondamentale[42].

 

Les bulles spéculatives se retrouvent encore plus fréquemment pour les entreprises en particulier, même si leur santé financière et leurs perspectives sont évidemment mieux connues que la Bourse en général. Orléan (2003) en donne plusieurs exemples, où le cours s’écarte parfois énormément de la valeur fondamentale de l’entreprise. Il est déjà édifiant que la Bourse américaine dans son ensemble[43], entre 1881 et nos jours, a toujours été surévaluée de 5 à plus de 40% de sa valeur fondamentale calculée sur les profits des dix dernières années. Cette surévaluation chronique serait-elle la mesure du goût du jeu de nos acteurs «rationnels»? Les bulles spéculatives et les crashes boursiers ont en tout cas peu de rapport avec l’information objective détenue par les acteurs.

 

On peut expliquer ce phénomène par le fait que les opérateurs intègrent dans leurs décisions une anticipation de la valeur future des entreprises. Une anticipation relève par essence d’une information incomplète[44]. En fait, l’évolution des cours de Bourse a une apparence irrationnelle, voire chaotique[45]. Les crashes boursiers sont souvent perçus par le public comme l’effet d’une soudaine folie collective[46]. Mais cette «évidence» populaire ne suffit pas à entamer la croyance indéfectible des économistes néoclassiques en la rationalité des acteurs. Orléan (2003) relève ainsi que les acteurs boursiers «ne se déterminent pas seulement en fonction de la valeur fondamentale mais surtout en fonction de l’évolution attendue des cours». Plus précisément, «sur un marché financier, chacun se détermine non pas à partir de son estimation de la valeur fondamentale mais à partir de ce qu’il pense que les autres vont faire. On parlera de rationalité «autoréférentielle pour désigner cette forme de rationalité tournée exclusivement vers les opinions des autres». De quoi sauver de justesse l’hypothèse de rationalité des opérateurs boursiers.

 

Cette rationalité autoréférentielle de la Bourse n’est pas du tout, comme on pourrait le penser, un accident, mais relève d’une tendance comportementale structurelle que l’on peut reproduire en laboratoire. Si l’on donne expérimentalement à une action fictive une valeur fondamentale connue de tous les joueurs et qu’on laisse fluctuer l’action en promettant de la racheter à cette valeur, il se produit invariablement une bulle spéculative haussière[47] se terminant par un réajustement (crash) rapide juste avant la fin du jeu (Noussair, 2001). Or tout au long du jeu, les individus savent parfaitement que la valeur fondamentale est constante.

 

L’énigme peut s’expliquer de la manière suivante (Orléan, 2003): un individu est rationnellement amené à acquérir le titre à un prix supérieur à sa valeur fondamentale dès lors qu’il pense que d’autres sont prêts à l’acquérir à un prix encore supérieur dans le futur. Les autres pensent de même et le cours monte en même temps que le risque, jusqu’à ce que, peu avant l’échéance, chacun se précipite pour ne pas vendre le dernier.

 

En Bourse, les incertitudes sur la valeur fondamentale et sur le futur s’ajoutent à ce phénomène «autoréférentiel». Le cours est alors encore moins prévisible. L’art pour les acteurs sera toujours de «prendre leur bénéfice» juste avant la chute du cours, quelles qu’en soient les causes. En matière de placements boursiers, deux écoles se côtoient: une école fondamentalistes (ne jurant que par la valeur fondamentale) et une «vieille» école d’opérateurs plus intuitifs s’aidant éventuellement de graphes d’évolution boursière (Sluys, 1991). Cette dernière méthode, qui peut sembler plus artistique, moins rationnelle, s’appuie justement sur l’hypothèse de rationalité parfaite du marché (y compris les tendances spéculatives). En quelque sorte, pour être bon spéculateur en Bourse, il faut croire à la rationalité autoréférentielle. Sur un marché financier, on fait du profit quand on réussit à prévoir l’évolution de l’opinion du groupe. «Pas plus qu’un homme politique , le gestionnaire ou l’analyste ne peut avoir raison contre l’opinion majoritaire de ses électeurs: c’est le marché qui vote. C’est pourquoi il importe, au-delà de l’étude des entreprises, de prendre conscience des courants d’opinion qui peuvent agiter la Bourse» (Balley, 1987). Orléan souligne[48] «qu’une telle instabilité mimétique se trouve durablement réduite et encadrée lorsque émerge un modèle d’évaluation économique reconnu par tous comme légitime». La croyance dans les possibilités de l’Internet pour la vente par correspondance est un exemple d’une telle «convention» reconnue par tous et qui engendra le boum de la «nouvelle économie » (Start up informatiques).

 

«Tant que les évolutions économiques constatées sont conformes à la convention, celle-ci perdure. Lorsque des anomalies s’accumulent, l’incertitude renaît, et le mimétisme se fait à nouveau sentir».

 

La «convention» elle-même n’est que conviction visionnaire, imparfaite.

 

La théorie des jeux en situation de rationalité et d’information parfaite démontre déjà théoriquement les faillites du marché issues de l’incertitude sur les décisions des autres acteurs (voir le célèbre «dilemme du prisonnier»)[49]. Mais non seulement les acteurs ne peuvent pas être considérés comme parfaitement rationnels, mais de plus, l’information en situation de concurrence est forcément imparfaite. Le biais d’information est une des caractéristiques fondamentales du marché, car il est généré par le marché lui-même. L’acteur «concurrent» a toujours intérêt à savoir et ne pas enseigner, «voir et ne pas être vu», même à brouiller les pistes de ses adversaires (ou de ses clients) par de fausses informations ou à créer des alliances partielles sous forme de cartels.

 

En effet, la majeure partie du bénéfice de la spéculation commerciale provient d’avantages informationnels aussi minimes soient-ils. Un marchand peut gagner en vingt minutes autant qu’un paysan en 6 mois si ce dernier arrive éperdu avec un chargement périssable sur un marché dont il ne connaît pas les rouages: le marchand lui achète son chargement et le revend vingt minutes plus tard deux fois plus cher à l’opérateur qui était justement en manque de ce produit. Les méfaits de la spéculation financière internationale est aujourd’hui largement reconnue, même si on ne sait pas encore très bien comment la juguler (terme qui fait frémir, par définition, les néoclassiques)[50].

 

La seule timide intervention proposée, la taxe «Tobin» , relève pourtant des outils économiques - les seuls à avoir droit de cité dans les milieux économiques conventionnels – mais n’arrive même pas à s’imposer.

 

Le rôle stratégique de l’information («voir et ne pas être vu») explique d’ailleurs la puissance occidentale actuelle, si l’on en juge par les positions de l’Office de l’Evaluation technique américain qui prétend que grâce à la révolution technologique en cours dans le domaine de l’informationnel, des économies de ressources de l’ordre de 40 à 60% pourraient devenir faisables dans un avenir proche aux USA, sans aucun sacrifice de croissance [51] (Faucheux et Noël, 1995, 261). Il ne s’agit malheureusement pas nécessairement d’avantages pour l’humanité, mais surtout d’avantages comparatifs qui n’ont rien à voir avec le développement durable .

 

En conclusion de tout ceci, on peut dire que même dans le bastion de l’économie marchande qu’est la Bourse, la rationalité des acteurs et leur information optimale ne mènent ni à la rationalité du marché , ni à son efficience informationnelle, ni à son efficacité.

 

Les sources de la «compétitivité» du marché sur les autres systèmes doivent être trouvées ailleurs.

 

Le domaine d’intervention de l’économie de l’environnement

 

 

En plus des limites propres à chacune de des théories de l’environnement (souvent, comme dans le cas de l’internalisation des coûts , des contradictions avec les hypothèses fondamentales de la théorie néoclassique ), elles souffrent toutes des limites intrinsèques de la théorie néoclassique pour laquelle, rappelons-le, tout ce qui est externe au marché ne saurait avoir d’existence économique.

 

L’économie de l’environnement ne peut donc s’appliquer que dans des cas bien précis, dont quelques uns sont résumés dans l’arbre ci-dessous. Pour les autres cas, seule une approche multidisciplinaire est actuellement envisageable. Dans le domaine social, Sen (2003, p. 191) arrive à la même conclusion que les résultats du marché – dont la principale vertu est l’efficacité - sont tributaires de son encadrement économique et social. Le mode de décision est alors multidimensionnel, ou multicritère (voir Vincke, 1989), et ne peut pas se résumer à une optimisation d’un paramètre unique comme la valeur marchande.

 

Le choix d’une théorie économique plutôt qu’une autre peut se résumer dans l’arbre suivant, qui délimite les cas pour lesquels la théorie néoclassique est applicable, donc où l’on peut s’en remettre aux vertus du marché .

 

Rappelons que le problème considéré doit d’abord avoir passé le cap de l’arbre de décision exposé plus haut, et donc relever exclusivement de la sphère marchande.

 

Domaine d’application de la théorie néoclassiquedans la sphèremarchande

 

L’arbre de décision ci-dessus indique dans quels cas on peut utiliser la théorie néoclassique dans la sphère marchande pour atteindre la satisfaction du plus grand nombre (étant entendu que nous avons déterminé à l’aide de l’arbre plus haut que le problème relevait de la sphère marchande).

 

Ce tableau semble fort exclusif. Il ne signifie pas que la théorie économique ne s’applique à aucun problème: de nombreux problèmes d’optimisation font en pratique appel à certains outils de la théorie économique, en particulier pour des entreprises évoluant en contexte concurrentiel débridé. Il ne saurait en être de même dans un contexte de gestion de la société dans son ensemble. Les dirigeants du FMI , des USA ou de l’UE l’oublient parfois.

 

L’idée de marché mondial

 

A notre arbre de décision ci-dessous, qui pourrait s’appliquer à un marché intérieur, s’ajoute la dimension internationale.

 

Pour Engelhard et al. (1998, p. 123), l’idée très répandue de mondialisation ou du marché mondial, repose sur une pure fiction. La première évidence vient de l’existence même des organismes monétaires internationaux et régionaux (UE, ASEAN, ALENA, MERCOSUR, APEC etc), qui n’existent que parce qu’il n’y a pas de marché mondial (ni même régional) de concurrence parfaite.

 

Leurs méthodes pour instaurer ces zones de concurrence parfaite reposerait également sur une utopie. La théorie du déséquilibre enseigne en particulier que supprimer des droits de douane ou les subventions, ou privatiser à tour de bras n’est pas toujours une bonne politique. Dans des conditions historiques bien particulière,

 

«le seul pays du monde qui se soit développé selon les recettes de la Banque mondiale et du FMI est l’Angleterre du 1852»(ibidem, p. 118).

 

Qui plus est, «la théorie du second rang (second best)[55] établit sans conteste que, si toutes les conditions de la concurrence pure et parfaite ne sont pas réunies (dans la réalité, elles ne le sont jamais!), le fait d’en réaliser quelques-unes n’a aucune raison de nous rapprocher d’une situation optimale»(ibidem, p. 124).

 

Le monde n’est pas un modèle de concurrence pure et parfaite où une infinité d’acteurs parfaitement informés cherchent exclusivement à augmenter leur profit égoïste sous forme monétaire en toute loyauté éthique.

 

L’efficacité absolue des marchés et des prix sur le plan international [56]

 

Les variations de changes réduisent à elles seules la belle utopie de l’efficacité des marchés et des prix sur le plan international. Une fluctuation du dollar renchérit ou diminue le prix des exportations de 20%, voire de 30% comme ce fut le cas de la Thaïlande en 1997. Le dumping monétaire dont ont bénéficié les pays asiatiques vers le milieu des années 80 provient du fait qu’ils se sont endettés en dollars (leur monnaie y étant liée) et en remboursant au même taux tout en réalisant une bonne partie de leurs ventes en Europe dont les monnaies ne cessaient, elles, de s’apprécier par rapport au dollar. La crise qui les a frappé en 1997 n’était pas sans lien avec la remontée de la monnaie américaine.

 

On connaît suffisamment l’impact de l’évolution des cours de matières premières sur l’économie des PVDs, et en particulier sur les crises graves qu’ils ont connu dans les années 1970-1980 pour que je ne m’y attarde pas[57].

 

Il faudrait donc une monnaie internationale indépendante du dollar pour que le phénomène des fluctuations de variation des changes cesse d’importuner l’avènement d’un marché mondial parfait. Mais cela ne semble pas être une priorité des institutions de Washington. Ce n’est pas leur première contradiction: dans son rapport de 1986 sur le développement dans le monde, La Banque mondiale soulignait que les agricultures les plus dynamiques de la planète avaient été soustraites au libre jeu du marché pour bénéficier d’importants soutiens à la production.

 

Quelques exemples récents d’avatars de la théorie néoclassique

 

Sans entrer dans le détail, nous vous proposons de survoler rapidement quelques exemples d’avatars de la théorie néoclassique . Nous nous contenterons de citer quelques sources susceptibles de faire valoir le caractère plausible d’une de nos hypothèses : la théorie néoclassique porte en elle les germes de la pauvreté , du sous-développement et de la dégradation de l’environnement.

 

Les recettes du FMI créent la pauvreté

 

Au cours des années 70, des banques commerciales ont accordé aux pays en voie de développement de larges emprunts, principalement gaspillés par des dictateurs, des régimes militaires ou des gouvernements incompétents ou corrompus. Pour les aider à sortir de la «crise de la dette», le FMI et la banque mondiale sont alors venu à leur rescousse, à condition qu’ils acceptent de mettre en œuvre des politiques d’ajustement structurel (PAS). La priorité du FMI est la stabilité financière et monétaire avant tout. Ses recettes se résument à l’application de la théorie néoclassique : création de conditions de concurrence libre et parfaite, ouverture des frontières, désengagement de l’Etat, création d’une bourgeoisie consommatrice et encouragement des productions marchandes (d’exportation).

 

Je résume dans l’annexe 3 ce que cela a donné en Guinée-Bissau : déstructuration des services publics, délabrement des infrastructures, crises pétrolières, apparition de la famine, de la prostitution, de la délinquance violente, «feu de paille» du secteur privé rapidement mis en faillite, et finalement: la guerre civile.

 

Laissons la parole à Cavanagh et al (2001)pour ce qui est du résultat dans le reste du monde [58]:

 

«Les programmes d’ajustement structurel du FMI ont provoqué une catastrophe sociale, économique et écologique dans plus de cent pays durant les vingt dernières années»

 

«Piégés par la nécessité de rembourser des dettes considérables, la plupart des gouvernements des PVD (représentant 70% de la population mondiale) se sont retrouvés sans autre choix que d’accepter la mise en œuvre de ces réformes en l’échange de l’aide du FMI . Il en est résulté la ruine de leur économie , la compression des budgets consacrés aux écoles et aux hôpitaux, l’accroissement de la pauvreté et de la faim ainsi que la destruction de l’environnement».

 

«L’approche du FMI purement basée sur le marché a contribué à mettre plus d’un milliard de personnes au chômage ou en sous-emploi, soit plus de 30% de la force de travail mondial».

 

«D’après la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies, même si l’on ne considère que les années 80, les dépenses de santé des pays africains ayant conclu un accord avec le FMI et la Banque mondiale ont baissé de 50%»

 

Et les auteurs de citer des chiffres pour différents pays sporadiquement «modèles» du FMI : augmentation du taux de chômage au Sénégal de 25% en 1991 à 44% en 1996, diminution du salaire minimum à Haïti à 2,40 USD en 1997, soit 19.5% de ce qu’il était en 1971, diminution du nombre d’inscriptions dans les écoles primaires zambiennes de 96% au milieu des années 80 à 77% aujourd’hui, diminution de 50% du financement destiné à la mise en place de législation protégeant l’environnement au Brésil, exploitation accélérée des ressources naturelles en Guyane, «où 10% de la surface du pays et des forêts sont en majorité des concessions d’abattage de bois qui détruisent les forêts et ravagent la terre», etc.

 

«80% des enfants souffrant de malnutrition vivent dans les pays où l’agriculture a été réorientée vers l’exportation».

 

«En fait, de 1980 à 1997, la dette des pays à faible revenu s’est accrue de 544% et celle des pays à revenu intermédiaire de 481%».

 

Pour Welch (2001), l’objectif de l’initiative de la Banque mondiale et du FMI sur la dette n’est donc pas de l’annuler, mais de la rendre «soutenable».

 

Et Bello (2001) de conclure que «tous les programmes d’ajustement structurel s devraient être démantelés immédiatement» et de se demander «Avons-nous vraiment besoin du FMI ? Puisque, comme nous l’avons amèrement découvert, des enfants meurent de faim à cause de ses actions».

 

Le fait que ces auteurs puissent être qualifiés d’engagés ne retire rien aux éléments factuels qu’ils rapportent. On peut rétorquer que la situation aurait peut-être été pire sans l’intervention du FMI, car force est de constater avec Engelhard (1998, p. 117) qu’il n’est pas aisé de distinguer ce qui est imputable au manque de discernement de certains dirigeants africains, aux accidents climatiques, à la crise mondiale et aux ajustements censés en réduire les effets, etc.

 

Les règlements de l’OMC menacent la survie écologique et la sécurité alimentaire

 

La deuxième grande institution qui promeut la libéralisation de l’économie mondiale, c’est bien entendu l’OMC .

 

Shiva (2001) rappelle que l’agriculture occupe 45% des actifs au niveau mondial et démontre le danger pour la sécurité alimentaire de la libéralisation internationale de l’agriculture. «le volet agricole de l’OMC est le plus grand programme au monde de création de réfugiés». Partant de la conviction que «les bénéfices des multinationales ne peuvent s’accroître qu’en détruisant les systèmes autosuffisants», Shiva relève l’impossibilité d’assurer la sécurité alimentaire pour les pays signataires des règles agricoles de l’OMC et conclut que:

 

«La mondialisation des échanges conduit au génocide».

 

Pour elle, le brevetage du vivant[59] est triplement pervers:

-moralement pervers, car les organismes vivants se font eux-mêmes, et ne peuvent donc être «créés» par tel ou tel inventeur;

-pervers dans la mesure où il criminalise le partage ou la sauvegarde des semences par les paysans;

-pervers dans la mesure où il encourage le biopiratage (vol de la biodiversité et du savoir indigène par les brevets).

 

Or «70% des semences en Inde sont conservées ou partagées avec un voisin, et 70% des soins sont basés sur la médecine indigène qui utilise les plantes du cru».

 

Et Shiva de conclure que «les règlements de l’OMC violent les droits de l’homme et menacent la survie écologique. Ils violent les lois de la justice et de la durabilité. Ils sont en état de guerre contre les peuples de la planète».

 

La démocratie suivant le modèle néoclassique

 

La vision démocratique du modèle néoclassique peut se résumer à «un dollar - une voix», puisque c’est par la monnaie et les prix que se prennent les décisions de la «main invisible» au bénéfice de «tous» (mais pas de chacun).

 

On n’attirera jamais assez l’attention sur cette limite gravissime du modèle néoclassique , qui exclut par définition toute personne sans revenu monétaire du processus de décision (économique) , et qui pondère le pouvoir des autres en fonction de leur pouvoir d’achat. Idéalement, pour que le modèle de la main invisible fonctionne de manière optimale, l’Etat devrait se trouver réduit à sa plus simple expression.

 

En toute logique, les institutions mondiales chargées de mettre en place ce système séduisant (passons sur la contradiction de leur existence) se devaient de donner l’exemple.

 

La conception de la démocratie à la BM et au FMI est donc logique avec le modèle dont ils font la promotion: leurs décisions sont prises au prorata de la contribution financière, «puisqu’on y vote à un dollar-une voix» (Bertrand, 2001)!

 

L’OMC dispose d’atouts d’un véritable Etat quasi mondial. C’est même «la seule autorité politique mondiale effective» (Petrella,2001). Il a notamment un système d’information élaboré couvrant les politiques économiques, sociales, culturelles, environnementales et sanitaires des pays , dont les données sont bien entendu regroupées aux frais des contribuables de chaque Etat membre. Il dispose également d’un véritable tribunal (ORD) ayant le pouvoir de contrôle et de sanctions sur les Etats.

 

«Seul l’ORD dispose du pouvoir de faire changer des législations nationales (…). L’OMC concentre en son sein des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires, concentration qui en font une institution d’autant plus puissante qu’elle n’est soumise à aucun contrôle. Cette organisation est la seule, au niveau mondial, qui soit en mesure d’ignorer la souveraineté des Etats et de leur imposer de modifier leurs normes nationales et locales.» (Jennar, 2001).

 

En toute logique technocratique, «c’est le Conseil général de l’OMC , non l’Assemblée de Ministres, qui a statutairement le monopole de l’interprétation des textes» (Bertrand, 2001).

 

«Les experts (de l’ORD) sont désignés pour un cas spécifique, ce qui est contraire au principe de l’inamovibilité des magistrats, un des principes fondamentaux constitutifs de l’indépendance des juges. Le fait que ces experts peuvent être choisis par le directeur général de l’OMC est un élément supplémentaire de suspicion. Le caractère confidentiel des délibérations (…) constitue un autre manquement aux principes généraux du droit». (Jennar, 2001).

 

On voit que ces experts qui servent de juges sont choisis suivant les lois du marché par un OMC considéré comme une firme privée, et qu’ils travaillent dans le secret des affaires. C’est logique.

 

Telle est la conception de l’Etat mondial suivant la culture néoclassique . On est loin de l’évolution spontanée d’un marché concurrentiel parfait évoluant spontanément vers un optimum.

 

Ces quelques exemples montrent ce que peut donner en pratique, au niveau mondial, l’application aveugle de la théorie néoclassique , théorie économique mais qui a des ramifications jusque dans les autres éléments de la gestion publique. Ces résultats non concluants sur le plan théorique et pratique appellent des alternatives.

 

Les limites de l’internalisation des coûts sociaux et environnementaux

 

Depuis les critiques fondamentales démontrant le caractère non soutenable de l’application de la théorie néoclassique (voir Lux, 2003), différentes théories ont vu le jour pour pouvoir continuer à bénéficier de l’efficacité supposée du modèle néolibéral (voir Faucheux et Noël, 1995). Ces tentatives ont donné l’essor à la discipline de l’économie de l’environnement dans le monde académique.

 

Aujourd’hui, ces différentes théories sont suffisamment mûres et disposent de suffisamment d’experts pour inspirer l’agenda politique , comme le montre l’affirmation suivante(CE DG IV-concurrence, 2000):

 

«L’internalisation des coûts environnementaux et les instruments d’action fondés sur les lois du marché constituent les meilleurs moyens d’atteindre les objectifs environnementaux. Elle contribue à la vérité des prix»

 

Cette affirmation est en décalage avec l’état actuel de la recherche en économie de l’environnement . Le sujet reste en effet fort controversé sur le plan scientifique, tant par les économistes néoclassiques orthodoxes que par les économistes écologistes.

 

La technologie, les techniques de l’économie de l’environnement et l’augmentation d’externalités diverses, notamment spatiales, nous permettent en fait de reculer l’échéance où il faudra inévitablement composer avec la finitude de l’environnement et les processus irréversibles, et les limites sociales à la croissance . Le débat porte aujourd’hui plus sur l’importance de l’éloignement de ces limitesque sur leur réalité: entre le catastrophisme des uns (comme le Club de Rome) et l’optimisme des autres (comme Lomborg, 2001), il y a une marge de temps pendant laquelle on peut mettre en œuvre différents «outils économiques» résultant de la théorie néoclassique appliquée au développement durable : internalisation des coûts par une taxation verte, application du principe du «pollueur-payeur», échange de droits de polluer etc.

 

Indépendamment de son horizon (temporel, spatial, thématique) de pertinence, l’internalisation des externalités se heurte à deux problèmes majeurs:

-un problème de mesure;

-un problème éthique

 

La littérature montre de nombreux exemples de l’impossibilité de trouver une valeur fiable des coûts ou des bénéfices environnementaux (voir Faucheux et Noël, 1995) ou sociaux. Ces difficultés pratiques sont également liées à des difficultés d’ordre éthique: peut-on froidement décréter la disparition d’une espèce, ou d’un être humain? Ces deux problèmes d’estimation de coûts «hors marché » et de limites d’ordre éthique peuvent s’illustrer par l’exemple de la valeur de la vie humaine (Hecq, 1998, p. 14, Drèze, 1999). Dans un cadre américain, Guenter trouve dans la littérature des valeurs comprises entre 83.000 et 300.000.000 US $. (voir tableau).

 

Valeur de la vie humaine (en US $ 1990)

Méthode de calcul

Valeurs (en US $ 1990)

Indemnités juridiques accordées par des tribunaux pour décès par erreur

562.000 -12.760.000[60]

Dépenses médicales

141.000 -4.222.000

Couverture d’assurance-vie

130.700 -3.356.000

Salaires d’une carrière et investissements

960.000 -2.670.000

Résumé de la littérature pour intervention de sauvetage

1.297.000-191.000.000

Consentement à payer

83.000 -18.400.000[61]

Approche du capital humain

201.000 -1.124.000

Valeurs utilisées par le gouvernement fédéral

2.000.000-300.000.000[62]

Moyenne des décisions juridiques

672.000 -7.089.000[63]

Une quinzaine d’autres administrations américaines

3.000.000-6.000.000

Victimes du 11 septembre (moyenne 1.600.000)

720.000-3.500.000

Indemnisation des victimes du naufrage du Djoola par le gouvernement sénégalais, début des années 2000

20.000

(Source: Guenter, 1997, Drèze, 2003, presse sénégalaise et calculs)

 

Le programme ExternE retient pour l’Europe une «valeur statistique» de 3.100.000 EUR par vie humaine, mais tend à considérer plutôt les années de vie perdues par rapport à l’espérance de vie, (Fierens et al, 1998) au taux de 98.000 EUR par année de vie perdue (Hurley et al, 1997). La valeur officielle de la vie humaine dans les différents pays européens varie de 1 à 10.

 

Mais on constatera immédiatement la faiblesse conceptuelle de l’estimation monétaire de la vie humaine. Celle-ci est en effet globalement proportionnelle au revenu par habitant, ce qui ne manque pas de poser un problème éthique (Drèze, 1999, Zaccaï et al, 2003). La vie d’un Boshiman autarcique du Kalahari, vivant en marge de l’économie marchande, serait-elle égale à zéro par définition? La vie d’un vieillard au seuil d’une mort naturelle aurait-elle également une valeur nulle(Drèze, 1999)? Si l’on se base sur l’espérance de vie, la vie d’un nouveau-né vaut-elle plus que celle d’un enfant de 10 ans[64]? Bill Gates aurait-il la valeur de son revenu? Que vaut la vie d’un condamné à mort américain quand on sait que la société est prête à payer pour l’exécuter: a-t-elle une valeur négative? Un soldat irakien pendant la guerre du Golfe vaut-il, en négatif, le prix que les USA ont dû dépenser pour le tuer? ou en positif le prix que l’Iraq a dépensé pour le défendre? Une nouvelle naissanceaurait-elle une valeur négative dans un pays confronté à la croissance démographique et positive dans un pays confronté au problème de vieillissement(Drèze, 1992)?

 

La valeur de la vie humaine a une grande influence sur les résultats des estimations des coûts sociaux des atteintes à l’environnement (Fierens et al, 1998). Mais la monétarisation des coûts environnementaux proprement dits ne sont pas plus aisés, en particulier pour ce qui concerne les domaines relevant du futur, ou plus généralement de l’incertitudeet de l’irréversibilité: effet de serre (ibidem), le risque nucléaire, la biodiversité (Faucheux et Noël, 1995) etc.

 

Les limites de la dématérialisation de l’économie .

 

La dématérialisation de l’économie (voir p. ex. Solow, 1973, Bartelmus, 2003) est une autre réponse aux limites à la croissance . Cette solution occupe aujourd’hui l’agenda politique des grandes organisations internationales comme l’OCDE et l’UE.

 

En réduisant par exemple les inputs matériels de l’économie, on réduirait les outputs (émissions) (Matthews et al, 2000)[65]. La dématérialisation de l’économie se manifesterait par le découplage de l’économique et de l’environnemental (on ne parle pas du social) par un facteur X[66].

 

Les facteurs qui induiraient ce découplage seraientà la fois «automatiques» et réglementaires:

  • la «propension à payer» pour un meilleur environnement augmente à mesure que le revenu augmente (Cleveland et Ruth, 1999);

  • l’environnement devient politiquement plus important quand le niveau de vie augmente (Perman et al, 1996); la dématérialisation est le reflet de l’intervention des pouvoirs publics (Amann et al., 2000, Grubb, 2001, Zaccaï et al., 2003);

  • à mesure que le revenu augmente, la structure économique change (Cole, 1999) et passe de l’agriculture à l’industrie plus polluante, puis aux services moins polluants par unité de PIB (Rothman, 1998): le découplage s’observe dans cette dernière phase;

  • un niveau plus élevé de revenu est associé à des performances technologiques accrues et des changements de mode de consommation (Bartelmus et al, non daté);

  • des facteurs indirects (crise de l’énergie) peuvent «dématérialiser» temporairement l’économie (Hecq et al, 1990) dans la mesure où la combustion énergétique représente la plus grande part des flux de matériaux (Mattheus et al, 2000).

 

Les auteurs néoclassiques veulent voir un découplage «automatique» entre la croissance économique et les pressions sur l’environnement. C’est ce qu’on appelle la «Courbe environnementale de Kuznets» (CEK): l’évolution des pressions environnementales suivrait dans un premier temps celle du PIB avant de s’infléchir et de diminuer ensuite au fur et à mesure que le PIB continuerait à augmenter, ce qui dessinerait une courbe en U inversé. Ce phénomène s’observe effectivement pour des cas particuliers dans les pays développés, notamment pour des émissions qui peuvent être réduites par des technologies «en fin de cycle» (Amann et al, 2000), comme le filtrage des fumées ou les stations d’épuration des eaux. En pratique, on peut observer ci et là un découplage pour les émissions de SO2 par exemple, mais le CO2 , les déchets, l’épuisement des ressources naturelles, les produits toxiques, les espaces disponibles restent problématiques. Des meta-études poussées montrent que la CEK en U inversé ne se vérifie pas même pour le SO2 et se révèle extrêmement sensible au choix des exemples considérés (Harbaugh et al, 2002). Des études portant sur l’ensemble des «Inputs Matériels Directspar habitant» pour quelques pays occidentaux (Canas et al., 2003) suggèrent une courbe en U inversé ou plutôt une courbe en N: les besoins matériels recommencent à augmenter avec le revenu par habitant après avoir initialement diminué, comme l’avaient suggéré plusieurs auteurs (Opshoor, 1990, Hüttler et al, 1998). On l’observe pour les émissions de CO2 et de NOx (p. ex: Amann et al, 2000, KESTEMONT, 2002, p. 21).

 

Le problème de la dématérialisation , c’est qu’elle n’est possible que pour la part non matérielle des besoins fondamentaux. Il reste quand même 6 milliards d’habitants à nourrir, loger, chauffer. Ensuite, même avec les meilleures avancées technologiques pour le recyclage par exemple, il restera toujours à la marge une part de pertes matérielles à tous processus, sans compter bien entendu les besoins économiques et matériels nécessaires au recyclage lui-même, avec des rendements décroissants, et aux réseaux nécessaires à l’économie «virtuelle». Enfin, la notion de découplage ne remet pas en question la notion de croissance (du marchand). On peut se demander si ce n’est justement pas la partie immatérielle de la croissance économique qui devrait être remise en cause, d’un point de vue éthique: quelles sont les externalités sociales de la dématérialisation[67]?

 

La dématérialisation totale de l’économie suppose à la marge une substituabilité parfaite entre tous les services fournis par l’environnement et la sphère économique (technique), ce qui ne se vérifie pas dans la pratique (voir résumés de Cleveland, 1998, Ayres et al, 1998). Une dimension qualitative doit être ajoutée à cette «dématérialisation» car une tonne de terre n’est évidemment pas équivalente à une tonne de déchets radioactifs[68]. Bartelmus (2003) propose donc d’ajouter à ce concept celui de «détoxification».

 

La dématérialisation de l’économie est donc un objectif politique utile au développement durable , mais elle ne fait que reculer l’échéance: quand toutes les possibilités techniques auront été trouvées, qu’elles seront utilisées à leur optimum, et que les ressources matérielles épuisables auront été épuisées, on atteindra un niveau de vie déterminé par la limite de flux matériel et énergétique inépuisable à notre échelle de temps : le flux que peut procurer l’environnement (en particulier l’énergie solaire, directement et indirectement, la surface).

 

Conclusion

 

Les hypothèses sur lesquelles repose la théorie néoclassique ne sont ni vérifiées universellement, ni même vérifiées dans les bastions du libéralisme que sont l’Occident et par exemple la Bourse.

 

Nous avons présenté, à l’aide de quelques exemples retentissants, une vision sombre du potentiel de la théorie néoclassique pour mener au développement durable . Il semble que cette théorie ne puisse pas mener – intrinsèquement - au développement durable. Tout au plus peut-elle servir d’appoint à d’autres politiques, plus volontaristes, à mener sur d’autres fronts que ceux de l’économie marchande.

 

 

CHAPITRE III. QUELLES ALTERNATIVES?

 

Nouveaux modèles économiques

 

Si la théorie néoclassique contient en elle les germes de la pauvreté et de la dégradation de l’environnement et si ses «aménagements» en économie de l’environnement ne peuvent servir que pour des problèmes marginaux ou pour un horizon relativement court, que faire?

 

Le modèle keynésien, consumériste et également matérialiste, a lui aussi montré ses limites : la consommation de masse, si elle a permis le développement , ne constitue pas une alternative viable pour l’ensemble de la planète, sauf si elle arrive à se dématérialiser, ce qui semble au moins utopique comme nous l’avons vu plus haut.

 

Le marxisme matérialiste a lui aussi sous-estimé l’importance de la nature[69] et de la culture de l’homme, maîtresses en partie «irrationnelles» de sa destinée.

 

Entre ces deux grandes tendances, libéralisme sauvage et «dictature du prolétariat», la chute du mur de Berlin et la montée en hyper puissance des USA semblent avoir désigné le vainqueur[70].

 

Les théories de l’échange inégal ou l’analyse suivant la structuration centre-périphérie (voir Vandermotten et al, 2003), l’idée de la nécessité du développement d’un marché intérieur[71] (voir Engelhard et al, 1998) ou d’autres faisant l’objet d’une abondante littérature sur le développement ont manifestement des solutions à apporter, certainement pas pires que celle du néolibéralisme. Il ne nous revient pas ici d’entreprendre l’étude d’un tel foisonnement d’idées.

 

Il semble cependant acquis que le marché reste le plus efficace. Mais efficace pour quoi au juste? Sen (2003, p. 45) souligne que ce qui compte, ce n’est pas le résultat agrégatif[72], mais le résultat compréhensif (prenant en compte les processus à travers lesquels ils ont été obtenus). La victoire économique des USA sur l’URSS ne suffit pas à consacrer le néolibéralisme comme modèle de développement [73]. A l’inverse, la victoire économique chinoise sur l’Inde ou la Russie libérale ne démontre pas la supériorité du modèle marxiste. Obtenir le meilleur résultat économique ou le développement durable par la dictature ne serait pas très convainquant.

 

Sen postule donc une «nouvelle théorie économique» basée sur le concept étendu de Liberté instrumentale. Il s’agit en fait d’une approche basée sur les capacités des individus.

 

Pour lui il est essentiel de prendre en compte cinq types de libertés instrumentales: libertés politiques, facilités économiques, opportunités sociales, garanties de transparence et sécurité protectrice (Sen, 1999).

 

Si l’on pousse la notion de liberté dans toutes ses dimensions, on arrive en effet à la répartition équitable du pouvoir (ou au moins des «chances», ce qui n’est pas tout à fait la même chose) et on retombe sur la notion centrale de participation . Relevons en particulier que liberté signifie accès à l’information (donc Education), Santé, Répartition des richesses etc. Le PNUD (2000) se réfère aux droits de l’homme pour énumérer en page de couverture:

 

  • «liberté de vivre sans souffrir de discrimination;

  • liberté de vivre sans souffrir de la peur;

  • liberté d’exprimer son opinion;

  • liberté de vivre à l’abris du besoin;

  • liberté de développer et de réaliser ses potentialités;

  • liberté de vivre sans souffrir d’injustice et de violations de la légalité;

  • liberté de travailler sans être exploité.»

La primauté à la liberté de Sen se détache largement de l’ultra libéralisme en la poussant dans toutes ses dimensions. En effet, la seule «libertéindividuelle» abandonnée dans un environnement hétérogène ne mène qu’à la loi du plus fort. Peu importe à un ancien esclave d’avoir retrouvé la liberté si c’était pour mourir de faim ensuite, faute de revenu. Donner la préférence exclusive à une autre forme de liberté (par exemple économique) ne suffit pas non plus. Ce qui compte, c’est de favoriser toutes les formes de liberté simultanément, ou du moins se concentrer sur celles qui sont le plus bafouées ou qui constituent un facteur limitant pour l’individu ou la communauté considérée.

 

Selon Sen (1999), la réelle efficacité économique vient en fait en premier lieu de la liberté, «dont la science économique était soucieuse à ses origines, mais qu’elle a progressivement oublié pour se concentrer sur la valeur des biens, des revenus et de la richesse». Une des avancées fondamentales que Marx (1867, 10.3) a reconnu au capitalisme, c’est d’avoir libéré le travailleur (de la féodalité et de l’esclavage). Ces deux auteurs accordent une place plus importante à la liberté qu’à l’utilité.

 

Une des conséquences des analyses de Sen est de refuser toute forme de tradition qui aurait pour effet l’oppression des individus, ce qui évite au moins la récupération politique des «traditions» par des dictateurs (comme en Afrique ) et permet de lutter contre des rites avilissants (esclavage, mutilations sexuelles etc). Son modèle ayant un caractère «universaliste» pourrait à ce titre entrer en contradiction avec certains modèles culturalistes basés sur l’encouragement de la réciprocité (voir plus loin). Il repose en effet sur l’individu plus que sur la communauté (Temple, 2002).

 

Reste en effet à déterminer où «la liberté des uns s’arrête à la liberté des autres», et qui y a droit (quelles limites d’âge? les «personnes morales» sont-elles inclues? la nature a-t-elle des droits? comment prendre en compte la liberté des générations futures ? etc). Ce choix ne peut être que le résultat d’un consensus social, où la participation de chacun est nécessaire, et qui s’exprime sous des formes différentes dans chaque culture . Cette participation elle-même risque de ne pas mener à une acceptation du modèle lui-même. En attendant de trancher, retenons le concept de liberté durable comme modèle possible de développement .

 

Les théories de Sen ont contribué à la création de l’IDH ou index de développement humain (PNUD, 2000) sous l’impulsion de l’économiste pakistanais Mahbub ul Haq dès 1990 (Sen, 1999). Cet index ne prend pas en compte l’environnement, ni la dimension future, mais met l’accent sur l’état du présent[74]. Il a ce caractère en commun avec la théorie néoclassique qui est par essence présentiste (Faucheux et Noël, 1995, p.330):

 

«Il a fréquemment été remarqué que, dans le cadre de la théorie néoclassique du développement soutenable, l’extension de l’argument d’impatience (c’est-à-dire la préférence nette pour le présent) à la dimension intergénérationnelle est tout à fait discutable. Ceci donne à la génération présente une influence tutélaire sur les générations futures , qui peut apparaître contestable d’un point de vue éthique».

 

Ces deux théories s’opposent sur ce point à la théorie de l’Etat stationnaire de Daly («écologie profonde») qui vise plutôt à la préservation d’un environnement le même pour toutes les générations. Pour l’écologie profonde, il existe un seuil en-dessous duquel l’environnement, qui est un être vivant autoreproduit, peut mourir et avec lui l’humanité. Cette conception repose sur le bon sens, mais elle «n’est pas sans conséquence du point de vue de l’équité intragénérationnelle» (ibidem). Elle postule en effet , pour l’humanité, d’accepter une forme de sacrifice du présent, comme la régulation des naissances ou la limitation des consommations.

 

On voit que sur ce point, un compromis doit être trouvé entre les générations présentes et les générations futures .

 

Le modèle chinois

 

Il est intéressant de remarquer les excellentes performances économiques de la Chine contemporaine sur le plan de l’agriculture et des petites entreprises, «l’expérience la plus réussie de toutes les politiques économiques de ces vingt dernières années» (Stiglitz, 2003):

 

«Les municipalités de villages ont canalisé la précieuse ressource monétaire, financière, vers la création de richesse dans un climat de vive concurrence pour réussir. Les habitants des villages et des villes pouvaient voir ce qui arrivait de leur argent. Ils savaient si on avait créé des emplois et si leur revenu avait augmenté.»

 

Stiglitz attribue cette performance à la libéralisation dans un contexte de renforcement du capital social, mais sans remettre fondamentalement en cause le libéralisme économique. Temple (2003) au contraire insiste sur le fait qu’il ne s’agit précisément pas de privatisation, mais de retour au système communautaire:

 

«Au niveau des villages, il n’y a pas d’entreprise privée qui ne soit directement ou indirectement gérée à partir de la communauté villageoise. Pas plus que de privatisation de terres, il n’y a d’entreprise privée qu puisse imposer sa loi à la communauté villageoise, ne serait-ce que du fait que ces entreprises ne sont pas propriétaires mais seulement locataires des terres où elles sont installées.»

 

Sen attribue le succès chinois à la primauté d’autres libertés instrumentales comme l’accès aux soins de santé, à l’éducation et au partage des ressources («malgré le manque de liberté d’expression»[75]).

 

Temple se demande si le système communautaire («rendre des comptes ») n’est précisément pas, via le renforcement du capital social, le fondement de la démocratie . La démocratie réelle, la participation , permise par l’ensemble des libertés instrumentales, seraient alors le fondement du développement durable . Comme aime à le rappeler Sen(1999): «il n’y a jamais eu de famines dans une démocratie». Mais j’ajouterais que des démocraties peuvent être victimes de famines (quand elles sont agressées de l’extérieur), ou au contraire provoquer des famines par ailleurs. La notion de concurrence ou de compétition (même entre Etats), est donc questionnable en raison même des externalités qu’elle provoque.

 

Economie écologique(le lien entre environnement et économie )

 

Se basant sur les critiques des différents modèles économiques appliqués à la gestion de l’environnement, ainsi que les modèles plus environnementalistes (prônant le recours aux instruments réglementaires), l’écologie économique[76] postule qu’ils sont complémentaires, chacun applicables dans des cas particuliers ou en conjonction, mais rejette les modèles extrémistes en tant que tels (par exemple le modèle néoclassique «pur» et le modèle de l’écologie profonde).

 

Cette école se concentre sur l’interaction entre économie et environnement à cause des problèmes particuliers que posent l’environnement (irréversibilité, incertitude etc), mais n’exclut pas d’être étendue au social par la suite.

 

Conclusion

 

Il ne suffit pas de savoir que la théorie néoclassique ne peut pas mener au développement durable , encore faut-il y trouver des alternatives.

 

D’abord, il convient de rappeler que les alternatives purement économiques bien connues (théorie keynésienne, marxiste etc) continuent à s’approfondir et à proposer des solutions applicables ci et là, sinon pour le développement durable, au moins pour le développement.

 

Des théories alternatives, plus en nuances, ont vu le jour. Les unes maintiennent la notion fondamentale de liberté individuelle, mais l’étendent aux libertés dans un sens plus large que la seule liberté d’entreprendre. Il s’agit de donner à chacun les capacités nécessaires à l’expression de ces libertés, dans une perspective d’égalité des chances. La notion d’égalité tout court semble reléguée aux oubliettes, mais soit.

 

Une pratique plus qu’une théorie semble particulière au modèle chinois, qui pourrait bien laisser une place, implicitement, à la conjonction de communautarisme et d’individualisme postulée par la théorie de la réciprocité , avec des relents de marxisme et de libéralisme.

 

D’autres théories se penchent moins directement sur l’être humain pour se concentrer d’abord sur les interactions entre économie et environnement (chaque chose en son temps ). Dans la mouvance de l’écologie économique, ces théories laissent un place aux multiples dimensions, et postulent la complémentarité des disciplines, donc les dangers à vouloir résumer le développement à une théorie (donc à un indice ) unique.

 

Nous adhérons à cette idée de «prendre prudemment ce qu’il y a de meilleur dans chaque théorie en fonction des circonstances et des besoins ». On part donc du principe qu’une négociation, un arbitrage politique , seront toujours nécessaire entre les trois extrêmes que constituent le «tout au marché » le «tout au social» et le «tout à l’environnement».

 

Les «alternatives» au modèle économique dominant ne sont pas encore achevées car elles ne couvrent pas encore (pas plus que le modèle néoclassique!) tous les aspects du développement durable , comme par exemple l’environnement et le sociétal pour la théorie de Sen, ou le social pour l’économie écologique .

 

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[15] Sustainable development is development that meets the needs of the present without compromising the ability of future generations to meet their own needs (WCED, 1987, 43).

[16] Cette dernière caractéristique attire l’attention sur le caractère intemporel du questionnement sur le développement durable , notion qui tombe sous le sens commun(Stengers, 1999, 32-33) mais qui est affirmé haut et fort comme un nouveau paradigme pour mobiliser l’humanité autour d’un projet commun, à l’échelle mondiale.

[17] Nous entendons ici une définition restreinte de l’économie, càd limitée aux échanges marchands, pour la plupart monétarisés dans les pays du Nord, objet d’étude principal de la science économique. De nombreux économistes sortent aujourd’hui de ce carcan en reconnaissant les apports de l’anthropologie économique d’une part, de l’économie écologique de l’autre.

[18] La biosphère est en fait un concept écologique proche de ce qu’on entend communément par le mot «nature», qui est l’ensemble des écosystèmes, incluant donc les êtres vivants, la partie de l’environnement physique nécessaire à leur survie , ainsi que leurs relations. Par extension, on l’appellera aujourd’hui «environnement» en référence à la zone d’influence actuelle ou potentielle de l’homme. La noosphère ou plus péjorativement la technosphère est la biosphère transformée par l’homme où les paysages naturels sont remplacés par des écosystèmes agricoles, urbains ou industriels. Pour Teilhard de Chardin, la noosphère se limite à la somme des connaissances et doctrines (information ) accumulées au cours des siècles par l’espèce humaine (Duvigneaud, 1972).

[19] Rappelons qu’elle ne concerne ici que les échanges marchands ou chaque interlocuteur ne recherche que son intérêt égoïste.

[20] d’autres écoles veulent au contraire que les économistes sortent de la sphère marchande pour s’intéresser aux autres sphères, mais avec d’autres outils que les outils monétaires, ce qui revient au même

[21] Pour une discussion de l’importance opérationnelle de la notion de propriété privée, voir annexe.

[22] Biens ou services pour lesquels la consommation n’est pas exclusive (plusieurs agents peuvent consommer sans inconvénient le même bien) ou sur lequel on constate une impossibilité théorique ou contingente de définir des droits d’usage exclusifs (biens collectifs: soleil, information de base, pollution diffuse, biens et services hors du temps présent)

[23] il n’y a pas de consensus pour autoriser l’appropriation (ex: source d’eau potable, découverte, être humain, médicament générique, tout se qui relève légalement du «domaine public» gratuit non exclusif ou inviolable: eaux internationales, Arctique, «patrimoine de l’humanité»)

[24] Bois sacré, stèle matrimoniale, biens/services collectifs gratuits non cessibles, réserve naturelle, majorité du territoire africain

[25] (ex: propriété collective ou privée, gisements, droits de polluer), brevets (ex: OGM)

[26] nous verrons plus loin que ce n’est pas toujours le cas

[27] une de ces sources intrinsèques, à part l’autisme des hypothèses sous-jacents décrites plus loin, est peut-être la puissance de l’avoir (voir annexe) et l’avantage comparatif de l’égoïsme sur l’altruisme , que nous discuterons plus loin.

[28] En pratique, cette notion permet aux seuls riches de polluer et d’épuiser les ressources naturelles.

[29] A la limite, les marges tendent vers zéro, et avec elles tout incitant pour tout acteur: l’équilibre parétien ainsi défini arrête le développement et même toute activité puisqu’il n’y a plus aucune motivation

[30] Nous verrons qu’il s’agit d’une hypothèse forte, au regard de la réalité sociale

[31] Totté (2003) propose de traiter cette question sur le mode schizophrénique: l’Occident recherchant autant le profit individuel que l’altruisme humanitaire, le «don de soi», comme par réaction, et jusqu’à l’interventionnisme de l’œuvre civilisatrice ou du communisme. Cette confusion entre Humanitaire ou Altruisme et Solidarité et Réciprocité, beaucoup plus rare dans les autres cultures, est traitée par certains auteurs (Tarik Dahon) comme une dérive culturaliste.

[32] L’altruisme se résumerait à un calcul égoïste inconscient, ou à la recherche de satisfaction morale (raisonnement un peu tordu reléguant le besoin social au second plan).

[33] comme l’importance donnée aux résultats et l’exigence de prendre en compte le bien-être des gens concernés

[34] Easterlin (1974), Hirsch (1976), Frank (1999) etc.

[35] sous certaines conditions économiques, les coûts sociaux de la croissance économique peuvent ainsi dépasser ses bénéfices humains (Hirsch, 1976, Daly, 1977).

[36] Le fait même que des milliardaires puissent exister en est une illustration. La mondialisation permet aux milliardaires du monde entier de se côtoyer et de se comparer entre eux, ce qui pousse la dépense un peu plus loin: dans la Haute, pour épater les copains, il faut se payer un voyage dans l’espace, alors qu’au village, un «modeste» Potlach aurait suffi.

[37] Nous ajoutons «indéfinie»

[38] on préfère un gain certain à une probabilité de gain, mais on préfère une probabilité de perte à une perte certaine. Ce phénomène rend généralement les négociations difficiles car on surestime les pertes par rapport aux gains.

[39] indépendamment de la «valeur sentimentale» d’un objet par exemple

[40] la théorie du choix rationnel postule que celui qui a 3 millions d’euros comme fortune actuelle a la même espérance d’utilité qu’il ait eu hier 5 millions d’euros ou 2 millions alors qu’en réalité, l’un est malheureux, l’autre est heureux; on juge la différence de gain entre 50 et 100 euros plus importante qu’entre 1050 et 1100 euros; on est prêt à perdre 10 minutes pour acheter un objet dans un magasin qui fait une ristourne de 5 euros sur un objet qui en vaut 10, alors qu’on ne le ferait pas pour une ristourne de 5 euroe sur un objet qui en vaut 100; on croit qu’il y a une différence plus importante entre 0% et 10% de chances d’obtenir un résultat qu’entre 30 et 40%, etc. Ce genre d’illusions cognitives est bien connu des statisticiens professionnels, qui n’y échappent d’ailleurs pas!

[41] situations ou le cours observé s’écarte durablement de la valeur réelle des entreprises, ou valeur fondamentale (Orléan, 2003)

[42] en 1987, à une époque que l’on aurait pu penser plus rationnelle, la surélévation battait paradoxalement largement le record de 1929 (plus de 40% contre une trentaine de pourcents en 1929).

[43] indice Stabdard & Poor 500

[44] sauf à admettre que les opérateurs peuvent prédire l’avenir, mais le déterminisme est passé de mode

[45] On peut reproduire sans difficulté, par la formule auto corrélative de Lorenz, une courbe chaotique de type boursier, et même y faire apparaître des comportements apparemment cycliques comme on en observe en économie , sans que cela ne prouve formellement, bien entendu, que la Bourse suive une loi chaotique.

[46] ce qui suffirait à rejeter l’hypothèse de rationalité

[47] atteignant une vingtaine de pourcents de surévaluation

[48] un peu en contradiction avec l’expérience de Noussair

[49] deux complices interrogés séparément ont toujours intérêt à avouer contre une réduction de peine, alors que d’un point de vue collectif, leur solution optimale est de nier solidairement en bloc (voir Demange et Ponssard, 1994, 16). Cet exemple montre que la seule incertitude suffit à rendre des solutions individuelles non optimales d’un point de vue collectif. Remarquons qu’un esprit de solidarité ou d’amitié assortie d’une confiance forte, permettrait dans ce cas d’arriver à la solution optimale, comme on le verra plus loin avec la théorie de la réciprocité . La théorie des jeux suffit à démontrer la non durabilité du régime de concurrence parfaite.

[50] Une série de mesures ont quand même été mises en place pour éviter les crashs boursier: suspensions de cotations etc.

[51] Je ne sais pas sur quoi se base ce calcul. J’imagine qu’on espère une meilleure gestion des flux matériels et une dématérialisation accrue des échanges (télétravail?). Il serait intéressant de voir dans quelle mesure ce chiffre inclut les potentialités accrues liées à une fracture informationnelle croissante avec les pays tiers, autrement dit l’espionnage commercial officiel (Echelon) ou implicite.

[52] Voir Lux (2003), Fehr et Gächter (2000), Fehr et al (2002).

[53] Ils ont des différences de capacités physiques, de pouvoir d’achat, ou d’accès aux ressources

[54] comme l’optimum parétien est inégalitaire, on en revient au temps t+1 à la condition précédente.

[55] Due à Lipsey et Lancaster (1956)

[56] d’après Engelhard et al, p.122

[57] à l’effet d’écroulement des prix des rares matières d’exportation s’était ajouté l’effet inverse de la crise pétrolière, les produits pétroliers absorbant la plus grande part (jusqu’à 60% en Tanzanie) des revenus des exportations.

[58] Pour une analyse plus approfondie, voir Engelhard et al, 1998, et Stiglitz, 2002.

[59] Comme nous l’avons vu, c’est une des manière de faire entrer dans la sphère marchande ce qui en est naturellement exclu

[60] Basé sur la moyenne pondérée de cas de décès infantiles et pour lesquels le jury a déterminé l’espérance de vie perdue

[61] Basé sur les résultats publiés de Landefeld (Landefeld et Seskin, 1982)

[62] Basé sur les études de Miller (1989) et Cohen (1980)

[63] Les valeurs de 191.000.000 et 300.000.000 US $ étaient considérées comme exceptionnelles et donc exclues.

[64] Cropper et al (1994) déduisent d’enquêtes sur le consentement à payer que sauver un jeune de 20 ans équivaudrait à sauver sept aînés de 60 ans.

[65] ou les stocks accumulés sous forme de capital …

[66] le facteur 4 est de doubler le PIB tout en diminuant les besoins matériels par deux (von Weizsäcker et al, 1997). En pratique, les besoins matériels ne diminuent qu’exceptionnellement (voir Bartelmus, 2003).

[67] Sans épuiser le sujet: Quelle est la part de non-droit qu’il faut assumer dans une partie du monde – comme le travail des enfants - pour permettre le prolongement de la croissance «dématérialisée» dans le monde développé ? (en l’absence de pétrole, faudra-t-il recourir à l’huile de brasd’esclaves?). Quelle perte de civilisation est-elle nécessaire ?

[68] par exemple, le conditionnement des déchets radioactifs réduit drastiquement leurs quantités en poids , mais pas leur dangerosité. Tout traitement de déchets (par exemple l’incinération de déchets non dangereux) produit des déchets secondaires dangereux sous forme de scories d’incinération.

[69] comme semblent le montrer les piètres performances environnementales de son industrie (voir Stanners et Bourdeau, 1995).

[70] Pour peu pour peu que les USA puissent être considérés comme un modèle de libéralisme, ou que les ex-Etats socialistes puissent être considérés comme des modèles du marxisme …

[71] La croissance du marché intérieur se faisant via l’amélioration prioritaire des conditions de vie qui conduit à une réduction du coût des biens et services de base, via le développement des économies populaires, et via un développement original des exportations dont on ne peut faire l’impasse. (Engelhard, 1998, p. 219).

[72] càd les résultats finaux, sans tenir compte des manières d’y arriver (Sen, 1999)

[73] soulignons que la compétition Est-Ouest n’opposait pas seulement deux modèles économiques, mais aussi deux puissances impérialistes en course pour l’appropriation des ressources mondiales et prêtes à beaucoup de sacrifices – y compris internes - pour y arriver. Les premières étapes de cette course étaient Berlin et Tokyo en 45-46. La guerre «froide» (pas pour le tiers monde!) en était le prolongement.

[74] Le principe suivant lequel on ne peut pas sacrifier le présent à des objectifs lointains est à la fois pertinent et risqué pour le développement durable

[75] Stiglitz met le même bémol: «ce n’était peut-être pas la démocratie mais …»

[76] Voir par exemple les travaux de Passet, Daly, etc. via la Société international d’écologie économique (http://www.euroecolecon.org).