Les portus de la vallée de l’Escaut à l’époque carolingienne. Analyse archéologique et historique des sites de Valenciennes, Tournai, Ename, Gand et Anvers du 9e au 11e siècles. (Florian Mariage)

 

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II. La vallée de l'Escaut. Catalogue historique des portus à l'époque carolingienne

 

2.1 Introduction. Contexte géographique, politique et économique

 

2.1.1 Caractéristiques hydrographiques

 

Pour comprendre l'importance qu'a pu avoir un fleuve comme l'Escaut dans le développement économique des villes situées sur son parcours à l'époque carolingienne, il importe d'en connaître les caractéristiques hydrographiques essentielles[29].

 

L'Escaut prend actuellement sa source à proximité du mont Saint-Martin, au nord de Saint-Quentin, dans le département de l'Aisne[30]. Le fleuve, après avoir traversé trois pays (France, Belgique, Pays-Bas) se jette quelque 430 km plus loin dans la mer du Nord. Le bassin hydrographique de l'Escaut couvre plus de 20 000 km2, dont 15 328 km2 sur le territoire de l'actuelle Belgique, soit plus de la moitié de la superficie totale du pays[31]. Sur son parcours, orienté de nord à nord-est, le fleuve reçoit de nombreux affluents, soit parmi les plus importants, d'amont en aval: la Sensée (rive gauche), la Haine (rive droite), la Scarpe (g), la Lys (g), la Dendre (d) et enfin le Rupel (d).

 

L’Escaut est, comme la Meuse, un fleuve à deux saisons hydrographiques. La proximité de la côte et la douceur du climat tendent cependant à réduire les différences entre les saisons, d’où des crues réduites. La multiplicité des méandres du cours ancien du fleuve lui confère une pente kilométrique minime, soit de 10 cm environ jusqu’au confluent du Rupel, et de 3 cm en aval[32]. Sur tout son parcours et jusqu’au 18e siècle, l’Escaut divague dans sa plaine alluviale. La seule exception est qu’aux environs d'Antoing, le fleuve perce perpendiculairement le dôme du Mélantois et se resserre, jusqu'à Tournai. Au-delà, l’Escaut pénètre dans la plaine flamande et retrouve ses nombreux méandres, jusqu’à son embouchure[33].

 

2.1.2 Navigabilité de l'Escaut

 

On ne sait rien des conditions dans lesquelles pouvait s’effectuer la navigation sur l’Escaut à l’époque qui nous intéresse. Aucune embarcation carolingienne n’ayant été découverte dans le lit du fleuve ou à proximité[34] et les textes faisant totalement défaut sur cette matière avant le 12e siècle[35], on en est réduit à comparer les cas contemporains des régions avoisinantes ou alors à réaliser des déductions en fonction des situations plus tardives ou antérieures, mieux connues.

 

La première question qui se pose, et qui conditionne la pertinence de notre étude est de savoir si l’Escaut a bien toujours joué ce rôle d’axe de communication et d’économie, tel qu’on lui connaît depuis le 12e siècle au moins[36]. La réponse est positive et se justifie aisément: que l’on prenne simplement en considération qu’avec la chute de l’empire romain au 5e siècle, l’ensemble du réseau routier est laissé dans un état de quasi-abandon[37]. Or les matières pondéreuses circulent toujours: le commerce de la pierre de Tournai, par exemple, est continu du Bas-Empire jusqu’à nos jours. Sans l’Escaut, le déplacement de gros blocs de pierre se serait avéré, si pas impossible, du moins extrêmement pénible et particulièrement onéreux. M. Van Uytfanghe, qui a rassemblé l’ensemble des textes relatifs à l’Escaut et ses affluents à l’époque mérovingienne, arrive à la conclusion que, si l’on ne sait rien du commerce fluvial à cette époque reculée, à tout le moins le fleuve était utilisé pour le transport de personnes, en l’occurrence par les évangélisateurs pour se déplacer. D’autre part, les sources mentionnent le transit d’esclaves dans la région du Haut-Escaut, à Cambrai notamment, à la fin du 6e siècle[38]. Surtout, il apparaît que la grande majorité des centres d’évangélisation, les grands monastères et les agglomérations de quelque importance sont situés le long des voies d’eau[39].

 

On dispose d’études concernant la navigation sur la Meuse, le delta du Rhin et tout le monde anglo-saxon et scandinave [40]. Les embarcations découvertes étaient cependant vouées essentiellement à la navigation en mer. A Sutton Hoo ou Oseberg par exemple, les vaisseaux mis au jour mesuraient plus de 20 mètres de long et 4 de large. Ils pouvaient être mus par 20 rameurs. D’un autre type est le bateau d’Utrecht, long de 18 mètres et large de 4, et daté du 8e siècle. Sa forme caractéristique en «banane» et la présence probable d’un mât, en font le prototype de l’embarcation de rivière ou d’estuaire, quoique rien ne soit réellement assuré en ce domaine[41].

 

En l’absence d’élément de comparaison contemporain réellement probant, on en est réduit à réaliser des déductions sur base d’une situation plus récente. Comment les anciens naviguaient-ils sur l’Escaut? Au 13e siècle, de nombreux types de navires circulaient sur le fleuve, même au plus haut de la navigation; à Douai, on construisait notamment des escarpoises, capables d'affronter la mer. Dans les tarifs de tonlieux de l'époque, on retrouve sur la Scarpe des nefs de 10 m de long pour 2 de large, supportant 14 à 15 tonneaux; à Valenciennes, des navires pouvaient porter jusqu'à 48 tonneaux[42]. Les albums de Croÿ, datant du début du 17e siècle, représentent le long du fleuve, outre de petites barques "de pêche", des embarcations très étroites, systématiquement munies d'un seul mât, poussées par une grande voile et dirigées par un large gouvernail[43]. Tout en étant conscient des limites critiques à adopter par rapport à de telles représentations, Adrien de Montigny offre là sans doute un exemple fort plausible de ce qui devait couramment circuler sur l'Escaut. Ces bâtiments, de dimension très modeste -pas plus de 10 mètres de long, à en croire la taille des personnes qui s'y tiennent debout-, sont à fond plat: il faut y voir la conséquence du peu de profondeur de l’Escaut. A partir de Tournai, les bateaux possèdent de temps à autre deux voiles, et ce de plus en plus fréquemment après Termonde. Enfin on peut voir, amarrés côte à côte au port d'Anvers, des navires de petit tonnage, à côté de gros galions à plusieurs mats, voguant vers ou en provenance de l'estuaire de l'Escaut. La navigation à la voile était encore pratiquée sur le fleuve à la fin du 19e siècle, comme le montrent des photos d’époque de péniches à Tournai[44].

 

Un autre élément déterminant pour quiconque voulait naviguer sur l’Escaut était le flux et le reflux des marées. En ce domaine, notre connaissance est une de fois de plus minime, ce d'autant qu'avec la transgression maritime Dunkerke II, le paysage côtier et le niveau de la mer ont considérablement évolué depuis l'époque étudiée. Ce que l'on sait découle toujours d’une situation moderne voire contemporaine. Avant la mise en place d’écluses sur le fleuve, au cours des 19e et 20e siècles, les marées de l’Escaut portaient jusqu’en amont d’Ename[45]. Descendre l'Escaut ou le remonter jusqu'à ce niveau ne devait donc pas représenter trop de problème, mais qu'en est-il de son parcours en amont d'Ename, surtout lorsque le vent faisait défaut et rendait la navigation à la voile inutile? Là aussi, les Albums de Croÿ sont du plus grand intérêt. La planche des albums représentant l'Escaut de Bléharies à Antoing met en effet en scène deux barques remontant le fleuve, munies d'une voile mais tirées de part et d'autre de l'Escaut par trois hommes solidement harnachés[46]. Les chemins de halage existent toujours, et étaient encore utilisés au début de ce siècle, avant la généralisation des moteurs à vapeur puis diesel: sans rames; c'était le seul moyen pour remonter le courant. Le recours à ce mode de traction, en toute hypothèse, doit s'enraciner dans des usages très anciens, mais qu'il est impossible de dater. Par exemple, les Miracles de Saint-Goar signalent un marchand frison qui remontait le cours du Rhin grâce à des haleurs au début du 9e siècle[47]. Outre la force humaine, le recours aux chevaux pour ce type d’opération, bien que probablement fort peu répandu à l’époque vu la cherté de l’animal, est attesté par la tapisserie de Bayeux, datant de la fin du 11e siècle[48]. Dans ce cadre, le bon état des berges et leur aménagement était un facteur essentiel; dans ce domaine aussi, malheureusement, les études font défaut.

 

Si on ne sait rien de précis concernant le niveau ancien du fleuve, sa faible déclivité et son débit réduit sont peut-être les seuls éléments d’information pouvant nous aider à comprendre les modalités d’une éventuelle navigation. C'est que l'Escaut n'est pas un fleuve particulièrement remarquable pour son débit et sa profondeur, et n'autorisait donc, du moins dans sa partie la plus en amont[49], que des bateaux à faible tirant d'eau. Même pour ces embarcations particulières, les navires ne s'aventuraient pas au-delà d'une certaine limite. L'historien local Henri d'Outreman affirmait, au 17e siècle, que c'est seulement à partir de Valenciennes que l'Escaut "commence à porter bateaux"[50]. Cette hypothèse semble se confirmer par la représentation de la vallée de l'Escaut dans les Albums de Croÿ (ca 1609): fait remarquable, aucune embarcation n'y est signalée en amont de Valenciennes, alors qu'Adrien de Montigny en dessine cinq, précisément en aval du pont Néron, là-même où l’on présuppose l'emplacement de l'ancien portus carolingien[51]. Dès le 13e siècle, Valenciennes fait office de rupture de charge majeure entre la route terrestre et l'Escaut[52]. Sans doute qu'au Moyen Age, avec la mise en place de différents ponts et moulins par-dessus l'Escaut, il était devenu dans les faits impossible pour une embarcation d'une certaine importance de pénétrer plus en avant dans la ville. Pour la période antérieure au développement urbain de Valenciennes, les bateliers se sont peut-être aventurés plus en amont de l'Escaut: les archéologues reculent la limite de navigabilité de quelques kilomètres, ce qui aurait permis aux constructeurs romains de transporter aisément les pierres de Tournai retrouvées en quantité importante dans le castrum de Famars[53].

 

A Tournai même, on connaît les grandes difficultés que connaissaient les usagers de l’Escaut au début du 17e siècle; la profondeur du fleuve par endroit n’excédait alors pas 1 m, voire moins dans certaines portions du chenal navigable[54]. La largeur de l’Escaut -plus de 60 m en certains endroits- y était pour beaucoup, mais également l’activité économique de la cité, avec ses moulins et rejets divers, favorisant un ensablement continu du fleuve. Pour les périodes antérieures, on dispose désormais d’une étude assez précise, résultant de diverses observations de fouilles dans et à proximité du fleuve[55]. Il ressort de cette analyse qu’entre le Bas-Empire et le bas Moyen Age, le niveau de l’eau n’a pas sensiblement varié, oscillant autour de 13 m, mais le lit du fleuve a lui été surélevé de manière significative, croissant de moins de 10 m d’altitude vers un niveau pouvant atteindre 13 m. Il en résulte que pour le haut Moyen Age, le tirant d’eau était beaucoup moins important que dans l’Antiquité. Ce n’est qu’en 1564 que, pour pallier à cet envasement généralisé, on mit en place une tenue d’eau en aval de Tournai, au Pré-aux-Nonnains. Avant cette date, le fleuve ne laissait donc aucune place aux navires de fort tonnage.

 

Il est difficile aujourd'hui de se représenter ce que pouvait être la Haine au Moyen Age. Pourtant la rivière, malgré son faible débit, a joué un rôle essentiel dans le développement économique du comté de Hainaut, reliant Mons, Saint-Ghislain et Condé. Par son orientation est-ouest, la Haine permettait presque d'effectuer la jonction avec la Sambre et donc la vallée mosane. Surtout, la rivière traversait une région charbonnière, et c'est à ce titre qu'elle fut très tôt utilisée pour le transport de houille et en échange de marchandises diverses, dont du vin[56]. Les tonlieux perçus à Condé et à Mons au bas Moyen Age attestent d'ailleurs de sa navigabilité[57]. Pour les périodes antérieures, il faut citer ici la découverte des barques et des structures portuaires de Pommeroeul, témoignant de l'utilisation de la Haine à des fins de transport à l'époque gallo-romaine. L'implantation sur la rive gauche de la rivière de l'abbaye de Saint-Ghislain dans le courant du 7e siècle va également dans ce sens.

 

La Scarpe est un des principaux affluents de l'Escaut; longue de 80 km, elle prend sa source à l'ouest d'Arras et rejoint le fleuve à Mortagne. En ce qui concerne les possibilités de navigation, les albums de Croÿ fixent explicitement la limite aux portes de Douai[58]. Dès le 13e siècle, la ville était en effet connue pour ses chantiers navals, et y était perçu un important tonlieu[59]. Mais la rivière était utilisée en amont de la ville puisqu'on levait vers 1024-1025 un tonlieu à deux kilomètres de là, à Lambres, par ailleurs dénommé portus[60]. Les témoignages de la Vita Columbani (639-642) et de la Vita Amandi (mi-8e siècle) attestent de l'utilisation de la rivière à l'époque mérovingienne à des fins de transport de personnes[61]. L'importance des implantations humaines -villes, abbayes, villages- le long de son cours sont également un indicateur du rôle joué par le cours d'eau. En réalité, la Scarpe a surtout pu être utilisée de manière intensive à partir du 10e siècle, lorsqu'on entreprit de détourner à la fois la Satis et la rivière d'Arleux, et augmenter dès lors considérablement son débit[62].

 

Avec la Scarpe, la Lys est le plus important affluent de l'Escaut. Depuis Aire au cœur de l'Artois, la rivière réunit un grand nombre de cités drapières avant de se jeter dans le fleuve à Gand. L'activité économique le long de son cours est surtout attestée aux temps forts de l'industrie textile, à la fin du Moyen Age[63]. Au 13e siècle, Lille -sur la Deûle, le principal affluent de la Lys- constituait le site le plus reculé de la navigation et faisait office de point de transbordement des marchandises, entre la rivière et les routes terrestres descendant vers le sud[64].

 

2.1.3 Contexte historique et politique

 

Le développement des portus scaldiens à l'époque carolingienne ne peut se comprendre en abordant la problématique uniquement sous une perspective économique. La politique, le jeu du pouvoir, les enjeux militaires ont eu tout autant d'influence.

 

Traditionnellement, la période carolingienne débute avec le sacre de Pépin le Bref à Soissons, en 751, et s'achève avec l'avènement des Capétiens en 987. Jusqu'en 843, l'ancien royaume franc mérovingien connaît une extension territoriale importante, principalement vers l'est, des œuvres de Charlemagne (768-814). Ces conquêtes eurent notamment pour conséquence directe de faire de l'ancienne Neustrie le cœur même du royaume franc[65]. Surtout, le roi devenu empereur (800) s'entoure d'une administration centrale efficace et cultivée, tout en conservant le contrôle des régions périphériques, en nommant sur place des personnalités dévouées (comtes et évêques), éventuellement secondées d'envoyés du roi (missi dominici) aux pouvoirs spéciaux.

 

Avec Louis le Pieux (814-840), l'unité de l'empire carolingien -qui s'étendait alors des Pyrénées à L'Elbe et du Tibre à la Mer du Nord- vole peu à peu en éclat. En 843, au traité de Verdun, les trois fils survivants de Louis se partagent l'héritage paternel: Louis le Germanique reçoit la partie orientale, entre Elbe et Rhin; Lothaire hérite de la couronne impériale et de la longue bande centrale entre la Mer du Nord et l'Italie (Lotharingie); Charles II le Chauve, enfin, se voit doter de la Francia Occidentalis, soit une grande partie du territoire français actuel. Surtout désormais, l'Escaut qui n'était jusqu'alors qu'un fleuve sans réelle importance politique, acquiert le statut de frontière entre la Lotharingie et le royaume de Charles le Chauve. Malgré une petite période où cet état est remis en question (traité de Meersen, 870 - traité de Ribémont, 880), l'Escaut à la fin du haut Moyen Age marquera la limite entre ce qui deviendra le royaume de France et le Saint-Empire Germanique; entre les comtés de Flandre d'une part et ceux de Brabant et de Hainaut d'autre part; entre les diocèses de Tournai et d'Arras enfin, et celui de Cambrai. Dès lors, selon que les agglomérations se situent sur la rive gauche (Gand, Tournai) ou droite (Anvers, Ename, Valenciennes) de l'Escaut, elles basculent dans l'un ou l'autre camp, et suscitent dès lors la convoitise de la partie adverse.

 

Rapidement en effet, la région est le théâtre de luttes armées. Entre 836 (Anvers) et 892, les agglomérations et les monastères situés le long de l'Escaut et de ses affluents subissent plusieurs vagues d'incursions normandes puis hongroises[66]. Si l'historiographie contemporaine a eu tendance à en exagérer les conséquences néfastes[67], il n'empêche que ces attaques à répétition ont précipité le déclin de l'autorité centrale, favorisant l'avènement de pouvoirs locaux et la mise en place de structures féodales. Ce processus impliqua également la construction de nouvelles fortifications (Tournai, Cambrai) voire la mise en place de structures défensives ex nihilo (Petegem, Gand voire Anvers). Car là est le trait politique fondamental de la seconde moitié du 9e siècle et des siècles suivants: la montée en puissance des comtes, qui de fonctionnaires royaux nommés acquièrent le statut de potentats régionaux à la charge héréditaire et qui sont seuls à même, désormais, d'assurer la défense du territoire. Pour la vallée de l'Escaut, le personnage le plus remuant est le comte de Flandre qui, via ses conquêtes et sa politique matrimoniale, entre progressivement en possession -dès les années 879-885- de la quasi totalité du territoire sis entre la Mer du Nord et l'Escaut, et s'aventure même au-delà du fleuve, à Ename et Valenciennes. Le comte conquiert; il organise et structure aussi: dans le courant des 10e et 11e siècles, il met en place sur base des anciens pagi mérovingiens un système de châtellenies, organisées autour d'un castrum comtal (Bruges, Gand, Lille, Arras, Douai)[68].

 

Pour faire face aux prétentions territoriales du comte de Flandre qui, dès la mort d'Othon III en 1002, s'en prenait à Valenciennes, les empereurs germaniques entreprirent à partir de 975 la mise en défense de la rive droite de l'Escaut[69]. Des agglomérations jusqu'alors modestes (Anvers, Ename, Valenciennes) furent fortifiées et érigées chacune au rang de centre de marche impériale. Peine perdue pour Ename: en 1033 ou 1034, le comte de Flandre réussit à s'emparer du castrum et démilitarisa le site, puis conquit toute la région aux alentours (ca 1050); par ce coup d'éclat, le vassal du roi de France devenait vassal de l'empereur salien[70].

 

Au milieu du 11e siècle, l’Escaut avait perdu son statut de frontière, hérité de l’époque carolingienne. Le comte de Flandre désormais maître des deux rives du fleuve, du moins dans sa partie la plus septentrionale, le commerce pouvait s’y pratiquer dans un contexte davantage sécurisé; nul doute que cela a pesé de tout son poids dans le développement économique des villes situées sur son parcours[71].

 

2.1.4 Contexte économique

 

Dans un article paru en 1989, Adriaan Verhulst mettait en lumière un des traits les plus caractéristiques de l'activité économique des villes de la vallée de l'Escaut au haut Moyen Age: celles-ci accusaient un retard de développement de cinquante à cent années par rapport aux civitates de la vallée de la Meuse et du delta du Rhin[72]. Pour le professeur de l'université de Gand, on ne trouve effectivement aucune trace d'activité économique importante dans la région située entre la mer du Nord et l'Escaut avant la fin du 8e siècle. Verhulst explique ce phénomène par le climat économique de la Neustrie, coupée des principales voies de circulation de la monnaie et des marchandises, qui passaient essentiellement au sud de la région, entre la foire de Saint-Denis et Quentovic, et à l'est de celle-ci, le long de la Meuse.

 

Ce point de vue est également repris par Stéphane Lebecq. Il existe réellement un vide tant historique qu'archéologique entre les pôles économiques que sont au sud la foire de Saint-Denis, où se rencontrent des marchands frisons et surtout saxons, l'axe constitué par le Rhin et son embouchure à l'est au nord, avec les emporia de Walcheren-Domburg, Deventer et surtout Dorestad, et enfin à l'ouest le chapelet d'emporia de la Manche, parmi lesquels Quentovic. Au centre de ce dispositif, c'est le désert économique, ou presque. L'argument numismatique est à ce titre éloquent: les trientes de Dorestad, frappés au 7e siècle et découverts en nombre dans la Frise, l'Angleterre, le Danemark et toute la vallée du Rhin n'ont été trouvés dans nos régions qu'à Froyennes (près de Tournai) et Borsbeek (dans le Brabant) pour le bassin scaldien, Overpelt et Asch pour la Meuse et plus au sud, à Chalons-sur-Saône et Condé-sur-Aisne[73]. Pour les sceattas issus d'ateliers frisons ou anglais de la fin du 7e à la fin du 8e siècles, le constat est le même: entre Meuse et mer du Nord, les seules trouvailles sont celles de la région de Namur.

Plus tard, de la fin du 8e et du début du 9e siècles (de Charlemagne à Lothaire Ier), lorsque les carolingiens reprennent en main la frappe de monnaies, ils émettent notamment des deniers à Dorestad. La carte de répartition des découvertes de ce type ignore sublimement les régions étudiées[74]. En fait, si l'on s'en tient aux sources écrites et numismatiques, force est de constater que le "réveil" économique des villes situées le long des vallées scaldienne et mosane ne survient généralement qu'à partir du milieu du 9e siècle, soit après les premières incursions normandes.

 

Un deuxième trait caractériserait ces villes: l'absence de place de marché avérée dans le portus carolingien est une preuve de son orientation exclusive vers le commerce interrégional voire international, avec comme point de mire la ville de Dorestad et les emporia du delta du Rhin et de la Meuse. Ce n'est qu'après la chute de ces centres au milieu du 9e siècle que les portus de la vallée de l'Escaut développeront une place de marché digne de ce nom, axée sur la campagne environnante.

 

A cela s'ajoute la construction de nouvelles fortifications ou le relèvement de structures existantes, assurant une sécurité aux marchands locaux. Enfin, le développement d'une véritable industrie, essentiellement textile, et l'exportation de ces produits ouvrira les horizons économiques vers la mer du Nord.

 

La véritable éclosion de ces portus de "seconde génération" ne serait donc pas antérieure au 10e siècle. Verhulst distingue dès lors deux phases dans le développement des villes scaldiennes: à un premier portus carolingien, essentiellement axé sur le commerce au long cours, succède aux 10e et 11e siècles un portus disposant d'une assise régionale, car animé d'une place de marché à caractère local, et qui aurait pleinement bénéficié de la construction de fortifications suite au passage des Normands. C'est cet ancrage local qui permettra plus tard l'éclosion de la ville du bas Moyen Age.

 

 

2.2 Valenciennes

 

2.2.1 Les origines

 

Le nom de Valenciennes, d'après les recherches les plus récentes, dériverait de "Valentinianas", ce que l'on peu traduire par "domaine de Valentinus"[75]. La ville se situe à l'emplacement où une petite rivière, la Rhônelle, se jette dans l'Escaut.

 

L'origine de l'occupation du site semble être intimement liée au poste romain de Famars, situé cinq kilomètres en amont de Valenciennes, et qui avait connu au Bas Empire une fortune importante[76]. Henri Platelle, se fondant sur des indices toponymiques et géographiques, affirme que Valenciennes était le lieu de passage, à l'emplacement actuel du pont Néron, des routes reliant Valenciennes à Famars et Bavay à Valenciennes. Aucune découverte archéologique substantielle n'est cependant venue jusqu'à présent étayer l'hypothèse d'une implantation gallo-romaine à cet endroit du franchissement de l'Escaut[77]. La grande chaussée romaine Bavai-Tournai passait à Escaupont, soit neuf kilomètres plus au nord de Valenciennes. Il semble cependant manifeste que le développement de l’agglomération est intimement lié au déclin de la cité gallo-romaine de Famars, avec un transfert progressif si pas de population, du moins de centre d’autorité et d’activité économique[78].

 

L'occupation du site à l'époque mérovingienne est attestée par la présence de tombes, découvertes en 1915 et 1947-1949 dans une extension du cimetière de Saint-Roch, au nord-est de la ville en bordure de l’Escaut[79]. La centaine de sépultures mises à jour, contenant un mobilier funéraire des 6e et 7e siècles, pourrait faire partie d’une nécropole suburbaine, correspondant à un modeste noyau pré-urbain, sis sur la rive droite de l’Escaut, à l’endroit où fut bâtie la première église de Valenciennes, Saint-Géry[80].

 

Le plus ancien texte mentionnant Valenciennes date de 693. Dans cet acte, le jeune roi de Neustrie Clovis III, entouré d'une cinquantaine de dignitaires, rend une sentence dans une assemblée judiciaire qui se tient Valencianis in palatio nostro[81]. Le palais en question était, en toute vraisemblance, le centre d'un ou de plusieurs fisci royaux, peut-être issu de l'ancien domaine de Valentinus. L’importance de ce plaid et le nombre de dignitaires présents, donnent une idée de la taille du palais mérovingien, qui devait disposer d’une aula ou d’une salle comparable, et du logement susceptible d’accueillir en plein hiver une assemblée d’une cinquantaine de personnes.

 

La Passion de Saint-Saulve[82], éclaire un peu la situation de cette implantation royale durant le second tiers du 8e siècle. Le texte, écrit à la fin du 9e siècle, raconte l'assassinat de l'évêque missionnaire Salvius, sans siège fixe, aux portes du fiscus de Valenciennes, probablement au centre duquel se trouvait le palais cité en 693. On y apprend que Charles Martel fit don à l’église de Saint-Saulve d’un tiers des revenus de son fisc de Valenciennes. Fait remarquable, la passio cite trois églises paroissiales aux alentours de Valenciennes: Saint-Martin, qui deviendra plus tard Saint-Saulve, Sainte-Pharaïlde à Bruay-sur-l'Escaut, toutes deux un peu en aval de Valenciennes, et enfin Saint-Vaast, sur la rive gauche du fleuve, relevant de l'évêché d'Arras. Peu après, cet événement suscita l'implantation d'une communauté religieuse, à proximité de l'église Saint-Martin, qui adopta pour la circonstance le patronyme du saint assassiné[83].

 

Qu'en conclure? On est en présence, avant l'arrivée au pouvoir des carolingiens, d'une communauté d'une certaine importance et déjà bien christianisée, qui s'est développée autour ou grâce à la présence d'un fiscus royal, au centre duquel se trouve le palais. Pour reprendre les termes d'Henri Platelle: C'est du côté des activités d'un grand ensemble rural qu'il faut chercher les premiers débuts de l'essor économique de la "ville carolingienne"[84].

 

2.2.2 L'essor de la ville à l'époque carolingienne

 

A en croire le nombre de visites royales et de rencontres familiales ou internationales qu'y s'y tinrent entre 771 et 866 - 771, 775, 798, 843, 853, 860 et 866[85]-, l'endroit était fort apprécié des souverains carolingiens. Par ailleurs, depuis le traité de Verdun (843) et surtout celui de Ribemont (880), Valenciennes est un poste frontière, car à cheval sur l'Escaut. Cela eut des conséquences importantes pour la cité qui devint l'objet de toutes les convoitises politiques et militaires. Le palais royal, au centre du fiscus, est alors toujours bien en place, comme le démontre le diplôme délivré en 860 par Lothaire II Valentianas, palatio regio.

 

En 828 lors d'un voyage, Eginhard qui avait acquis à Rome les corps des saints Marcellin et Pierre, vint à Valenciennes, qualifiée de "vicus situé dans le comté de Famars", déposer dans la basilique de Saint-Saulve une partie des reliques. De la main d’Eginhard, cette appellation n’est pas innocente: l’hagiographe emploie également le terme vicus pour désigner des agglomérations telles que Reims et Maastricht, ce qui dénote un caractère commercial certain[86].

 

En 830, le même Eginhard, parti d'Aix-la-Chapelle afin de se rendre à Compiègne, tombe malade, probablement le long de l'antique chaussée romaine Cologne-Bavay. Il change alors d'itinéraire et décide de se rendre à Gand, où il possédait une abbaye. Pour se faire, il emprunte la voie la plus confortable et la plus rapide, l'Escaut et embarque à Valenciennes[87]. Ce témoignage, au delà de l'anecdote, est un argument qui renforce la théorie selon laquelle Valenciennes était le point navigable le plus en amont de l'Escaut: s'il était réellement malade, Eginhard aurait voulu au plus vite abréger les souffrances d'un voyage conditionné par le mauvais état des routes, alors que par exemple Cambrai, également sur l'Escaut, était située sur son itinéraire. Le choix de Eginhard implique également que ce dernier était sûr de trouver à sa disposition à Valenciennes un bateau faisant route vers le nord; on y verra donc indirectement le signe d’une certaine activité économique avec des liaisons régulières le long de l’Escaut[88].

 

Le martyrologe d’Usuard, en date du 26 juin875, évoque à plusieurs reprises le portus de Valenciennes[89]. On peut désormais réellement parler de ville. Un diplôme de Lothaire II rédigé en 860 et relatif à la donation d’un manse du fisc royal à l’abbaye de Saint-Denis, évoque l’existence d’un tonlieu et d’une taxe d’accostage attachés à ce manse[90]. Selon Fr. Deisser-Nagels, une partie de ce territoire doit se situer à l’endroit où, encore au 17e siècle, se dressait l’hôtel de ville, dans la cour Saint-Denis. Cette portion de la ville avait été rachetée au 14e siècle par la commune à l’abbaye du même nom. Quoi qu’il en soit, en 860 le fisc royal de Valenciennes est démembré pour la seconde fois, après la donation concédée par Charles Martel à l’église de Saint-Saulve un siècle plus tôt. Ces transferts de propriété ne semblent pas avoir eu de conséquences néfastes sur le développement du site, que du contraire: du statut de centre de production et peut-être de redistribution agricole, Valenciennes acquiert, au cours du 9e siècle, une dimension commerciale nouvelle. La ville se joint alors aux autres portus de la vallée de l'Escaut également attestés pour cette période; à savoir Tournai, Gand et Ename, et à ceux de Verdun, Dinant, Namur, Huy et Maastricht sur la Meuse.

 

Les monnaies témoignent également de l’activité économique du site[91]. La ville possède un atelier de frappe depuis la période mérovingienne. Le centre monétaire se maintient à la période suivante, et les monnaies qui y sont produites témoignent alors de l’importance économique du fleuve: plusieurs deniers de Charles-le-Chauve portent l’inscription Valencianis Port. Ce numéraire, dont on a conservé 24 exemplaires, fait partie du type de 864-875[92]: la correspondance chronologique avec les textes -en l’occurrence ici le martyrologe d’Usuard- est remarquable.

 

Selon H. Platelle, le portus en question devait se situer un peu en aval du pont Néron, à proximité de l'endroit où la probable route romaine Famars-Tournai traversait l'Escaut. Le quai de débarquement et le lieu de perception mentionnés en 860peuvent être placés en aval de ce croisement, puisque la navigation s'exerçait essentiellement en direction du nord. L'endroit est situé à proximité de la première église de la ville -l'église Saint-Géry-, sise sur la rive droite, en un lieu qui prit plus tard le nom de "Rivage" et où la ville durant le bas Moyen Age, levait les octrois. Cette localisation est confirmée par le témoignage du chanoine Lancelin, dans les années 1930 : C'est au sommet de ce triangle [le castrum], du côté de l'est, que se trouvait le quai ou port de Valenciennes. C'est l'ancien Marché aux poissons, aujourd'hui Marché couvert. C'est là que jusqu'au milieu du XVIIe siècle aboutissaient les bateaux; là qu'on percevait les péages et droits du fisc. La ville possède encore aujourd'hui les maisons qui y sont bâties et qui servent de bureau à l'administration de l'octroi. Entre ces bureaux et le lit du fleuve règne une rangée de maisons du XVIe siècle qui ont conservé le nom de maisons des bateliers[93]. Ce port fut intégré dans la première enceinte communale, et on lui joignit alors la construction d'une des plus importantes portes de la ville, dite Montoise, qui contrôlait une grande partie du trafic routier vers le nord. Un plan de Valenciennes de 1693, conservé à la Bibliothèque Nationale à Paris, permet de se faire une idée assez précise de la toponymie ancienne de la cité[94].

 

2.2.3 Développements ultérieurs: des destructions normandes à la reprise des 10e et 11e siècles

 

La ville fut, comme toutes ses consœurs de la vallée de l'Escaut, durement touchée par les raids normands. Si la ville n'est jamais directement citée par les annales monastiques, on sait que les "hommes du nord", partant de Gand en 880, dévastent Tournai et tous les monastères de l'Escaut, ce qui pourrait impliquer un passage à Valenciennes. Au printemps suivant, ils quittent Courtrai et s'en vont incendier Saint-Vaast d'Arras, Saint-Géry de Cambrai et tous les monastères de la Scarpe[95].

 

On a la preuve par une source un peu postérieure des ravages causés par les Normands à Valenciennes. Un acte de 914, signale en effet que le manse seigneurial du fisc est abandonné depuis trente ans par suite des destructions des Normands, et que les églises Saint-Saulve -celle-là même qui avait été richement dotée de reliques par Eginhard un siècle auparavant[96]- et Saint-Pharaïlde qui lui sont attachées sont à rebâtir[97].

 

 

Le 10e siècle, par contraste avec les deux siècles voisins, ne témoigne d'aucune activité commerciale particulière. Faut-il, comme Adriaan Verhulst, en déduire que les raids normands ont réduit à néant les progrès des décennies précédentes[98]? L'agglomération de Valenciennes, quoi qu'il en soit, occupe de plus en plus le devant de la scène politique. C'est ainsi qu'en 957, elle devient le chef-lieu d'un comté. En 973, elle est intégrée dans un réseau de défense dirigée contre le remuant comte de Flandre et se voit élevée au rang de centre d'une marche militaire, tout comme Ename la même année et Anvers vers l'an mil. Le statut de ville frontière semble donc favoriser inévitablement le développement de Valenciennes à cette époque, même si les conséquences économiques de ce nouveau statut sont difficiles à percevoir.

 

La présence d'un comte à Valenciennes et d'une collégiale de chanoines -l'abbaye Saint-Jean fut fondée entre 979 et 995 par le comte Arnoul de Valenciennes[99]- a pu également, sans aucun doute, être un incitant important au commerce dans la cité scaldienne. Il ne fait pas non plus de doute que le nouveau comte se soit installé dans l'ancien palais mérovingien puis carolingien, qu'il a probablement adapté aux contraintes défensives nouvelles. Un texte de 1225 relatif à l'installation des Frères Mineurs à Valenciennes, évoque clairement la nature de ce castrum[100]. La partie la plus remarquable consistait en un donjon en bordure de l'Escaut, élevé sur une motte de terre rapportée. La construction s’inscrit bien dans l’air du temps: les premiers châteaux à motte et basse-cour apparaissent dans nos contrées au milieu du 10e siècle, et sont la matérialisation la plus remarquable des premiers temps de la féodalité[101]. L'instabilité de la construction au début du 13e siècle entraîna l'arasement complet du site, et la construction à la place d'un couvent et d'une église, actuellement Saint-Géry. L'entrée de ce château était située, selon Platelle, du côté de l'est, et donnait sur une place, devant l'église Saint-Jean. A l'ouest, des fortifications séparaient peut-être le castrum du fleuve[102]. La troisième composante importante du château, à côté du donjon et de la collégiale Saint-Jean, était l'hôtellerie. Vraisemblablement de fondation comtale, elle n'est signalée qu'à partir du milieu du 11e siècle, lorsque les marchands de la Karitet nouvellement établie l'enrichissent de leurs dons[103].

 

Le château occupait donc une position déterminante sur un parcellaire de forme triangulaire, à proximité directe de la Rhônelle et de l'Escaut. Surtout, le comte contrôlait de la sorte le passage sur le fleuve et le tonlieu qu'on y prélevait, un peu en aval[104]. L'archéologie -et cela paraît bien normal vu le nivellement du site réalisé en 1225- n'a pu cependant jusqu'à présent éclairer cette situation.

 

La position politique et géographique privilégiée de Valenciennes sur l'Escaut, la mise en place de structures comtales durant la seconde moitié du 10e siècle, semblent avoir été des facteurs déterminants dans l'essor de la ville durant la première moitié du siècle suivant. Preuve s'il en est, la ville est la cible privilégiée du comte de Flandre, dans sa politique d'extension vers l'est. En 1006, Baudouin IV assiège, multa manu collecta, Valentianense castrum. L'année suivant, le comte de Flandre se voit néanmoins contraint de rendre le castellum Valentianense[105], avant que finalement l'empereur, en 1012 ne le lui concède en fief[106].

 

Après les troubles militaires de la première décennie du 11e siècle, la ville poursuit son développement économique. Les Miracles de saint Ghislain, par exemple, témoignent de l'activité économique de la cité vers 1035. Il y est question d'un mendiant de Valenciennes qui, vers 1010, parcourait depuis longtemps les rues, les maisons et le port des navires (de cette ville), ce port auquel aspirent toujours les marins fatigués[107]. L'abbaye Saint-Jean et ses alentours occupent une place importante dans le développement économique de la cité; la célèbre charte de la Karitet des années 1065-1070[108] atteste du choix délibéré de cette guilde de célébrer ses deux fêtes patronales - la Saint-Nicolas et la Saint-Pierre - dans la collégiale castrale[109].

 

Le noyau primitif d'activité économique, le portus carolingien, n'est plus alors le seul centre d'activité. La création de la guilde de la Karitet en 1065-1070 vouée au commerce du drap, l'établissement d'un marché situé aux portes du castrum, semblent prendre le relais commercial d'un portus navium qui ne peut plus concentrer à lui seul tout l'essor économique d'une ville en pleine expansion démographique, dont le burgus se développe autour du château. C'est cet essor économique qui sera à l'origine d'une bourgeoisie valenciennoise, suffisamment influente au siècle suivant pour négocier avec le comte une première charte communale (paix de 1114)[110]. Avec la mise en place d'une première enceinte communale, le castrum comtal perdra alors progressivement sa signification et son utilité.

 

 

2.3 Tournai

 

Dans le catalogue des portus de la vallée de l'Escaut établi ici, Tournai peut, par son riche passé et l’abondante historiographie existant à son sujet, faire figure de cas particulier. Il ne saurait cependant être question ici de retracer en détail l'histoire de la cité avant la période qui nous occupe. L'économie intégrale de cette antiquité ne peut néanmoins pas davantage être envisagée; le passé romain et mérovingien de Tournai contient en lui les germes du renouveau économique, politique et religieux de la cité à l'époque carolingienne. Nous tâcherons donc d'en résumer les caractéristiques essentielles.

 

2.3.1 Tournai romain et mérovingien

 

Rien n'est scientifiquement établi concernant l'origine de Tournai, historique comme étymologique[111]. La première mention de la ville n'est d'ailleurs pas antérieure au 4e siècle. Au 5e siècle, Tournai est citée au nombre des civitates de la Belgique seconde; elle supplante alors Cassel. Les informations relatives à l'histoire du site résultent donc presque intégralement de l'archéologie.

 

L'origine d'une implantation humaine à Tournai suscite toujours autant de débats. Les hypothèses les plus récentes voient dans le nom même de la ville la trace de l'existence du domaine agricole d'un certain Turnus, vraisemblablement un gallo-romain. Impossible, ici, de ne pas faire la comparaison avec l'origine du nom de Valenciennes, dont il a été question ci-dessus.

 

Quoi qu'il en soit, on n'a pas de trace de développement urbain antérieur à la fin du 1er siècle après J.-C[112]. L’origine de la ville semble être liée à la position géographique privilégiée de Tournai, à l'endroit du franchissement de l'Escaut par la chaussée Arras-Asse-Tongres (decumanus de la future cité) et du croisement avec la voie Bavay-Cassel-Boulogne (cardo). L'archéologie a, par les nombreux sondages réalisés après le seconde guerre mondiale, révélé un grand nombre de constructions de cette époque: traces de voiries et de canalisations, demeures privées, thermes, bâtiments publics (La Loucherie)[113]. La ville connut au Bas-Empire un essor important; en témoigne la construction au début du 4e siècle, après les premières incursions barbares, d'une enceinte sur la rive gauche du fleuve, protégeant une superficie de plus de 12 hectares[114]. La ville jouit alors d'une industrie de la pierre florissante, et de l'installation d'un atelier d'équipement militaire (gynécée).

 

Les incursions du 5e siècle sonnent le glas de l’empire romain. Les Mérovingiens profitent dans un premier temps des structures existantes, avant de s’imposer en uniques maîtres dans la région et d'élire résidence à Tournai, du moins provisoirement. Childéric y fit élever son tumulus peu avant 481, date à laquelle il se fit enterrer sur la rive droite de l’Escaut, le long de la chaussée romaine menant à Frasnes. C’est à cette époque ou peu auparavant que Tournai devint le siège d’un évêché[115]: cette implantation épiscopale assurera la continuité institutionnelle avec la période romaine: les limites de la civitas sont désormais celles du diocèse de Tournai, et l’évêque-comte[116] assurera durant une bonne partie du haut Moyen Age la gestion de la ville, palliant à l’absence de l’administration romaine et du roi parti s’installer plus au sud, au cœur de ses nouvelles conquêtes[117].

 

Un atelier de frappe est attesté à Tournai sous les mérovingiens: M. Hoc repère deux monétaires de type «Teudacharius» et un de type «Guerdal» ou «Gueroal» qu’il faut, selon lui, dater des dernières années du 5e siècle ou du début du siècle suivant[118]. Cet atelier est, en toute vraisemblance, installé au cœur du fisc royal, protégé par les anciennes enceintes, à proximité immédiate du palais.

 

Les témoignages écrits relatifs à cette période sont très peu nombreux. Dans son Historia Francorum, Grégoire de Tours mentionne à deux reprises Tournai. Peu après 567, suite à des conflits territoriaux, Chilpéric persécuté par son frère Sigebert d’Austrasie trouve refuge infra Thornacinsis murus, avec son épouse Frédégonde. Durant le siège, la reine eut un fils, Samson, qu’elle s’empressa de faire baptiser par l’évêque. Ce témoignage semblent attester que les anciennes murailles romaines étaient toujours en place durant la deuxième moitié du 6e siècle. Certains historiens en ont également déduit qu'un baptistère se trouvait intra muros, probablement à proximité directe de la première église cathédrale[119]. Les fouilles projetées à l’intérieur de la nef de la cathédrale actuelle devraient sans doute permettre, un jour, de lever le voile sur l’organisation et la disposition de ce premier ensemble épiscopal-palatial, avant l’implantation au début du 9e siècle d’un chapitre de chanoines. Pour l’heure, les résultats des fouilles menées sous les anciens cloîtres capitulaires ont d’ores et déjà révélé l’existence d’un vaste complexe comprenant entre autres une grande salle de 20 m sur 15m datant du 4e siècle, et réaménagée à la fin du siècle suivant, sans doute en liaison avec les importantes modifications religieuses et politiques que connaît Tournai à cette époque[120].

 

Outre l’existence d’un complexe épiscopal au cœur de la cité, on connaît mal la topographie de Tournai mérovingien, si ce n’est celle présupposée par les cadres du Bas Empire. Les résultats des fouilles menées jusqu’à présent ont essentiellement révélé l’existence de grands cimetières à l’extérieur de l’enceinte romaine de l’urbs, le long des chaussées toujours en place: nécropoles du parc de l’hôtel de ville (sud-ouest; direction Arras) et de Saint-Piat (sud-ouest; direction Bavay), tumulus de Childéric et ensemble funéraire avoisinant au nord-est (direction Frasnes). Les recherches menées sous l’église actuelle de Saint-Piat ont permis de mettre au jour le plus ancien édifice tournaisien (début du 6e siècle) connu, consacré au culte chrétien. La fondation d’une ecclesiola dédiée à Saint-Martin vers la même époque, sur l’emplacement futur de l’abbaye du même nom, demeure hypothétique: l’édifice n’est mentionné que tardivement et partialement par Hériman de Tournai au 12e siècle[121]. Quant à l’habitat, seules des structures alliant terre et bois ont été découvertes intra muros, à l’exception des trouvailles récentes sous l’ancien cloître de la cathédrale.

 

2.3.2 Le vide des 7e et 8e siècles

 

Avec le 7e siècle, on entre de plein pied dans «l’âge d’ombre» de l’histoire tournaisienne, qui perdure jusqu’au début du 9e siècle. Les rares indicateurs à notre disposition, qu’ils soient de nature textuelle ou matérielle, témoignent d’une période de déclin, ou du moins d’une sorte de «hiatus»[122] dans le développement de Tournai. C’est là, véritablement, qu’il faut placer la transition de la cité scaldienne de l’antiquité vers le Moyen Age, pour autant qu’on attache encore une quelconque importance à ses divisions théoriques.

 

Avec le départ de Clovis pour Soissons, Tournai serait sans doute peu à peu tombée dans l’anonymat si elle n’avait été peu auparavant élevée au rang de siège de diocèse[123]. Entre la fin du 5e siècle et le premier tiers du 7e siècle donc, un évêque réside à Tournai. Sous l’épiscopat d’Achaire -soit entre 626/627 et 637/638- ou peu avant, l’évêché de Tournai est uni aux destinées de celui de Noyon[124]. Pratiquement et jusqu’au 12e siècle, l’évêque est partagé entre ses deux palais; sa curia, inévitablement, suit les déplacements du prélat. On ne sait au juste quelle influence ce partage a pu avoir sur la topographie de Tournai; si l’évêque a favorisé l’une ou l’autre ville. Une chose est néanmoins acquise: le maintien de Tournai comme siège d’un diocèse et des organes administratifs qui y sont attachés est un des facteurs qui explique, malgré les difficultés de la période, la continuité du site.

 

L’archéologie révèle de grands bouleversements dans le bâti à la fin du 6e et au début du siècle suivant. Ce sont les fameuses terres noires, qui recouvrent entre autres le complexe épiscopal: d’après les céramiques les plus récentes découvertes, cet arasement daterait du début du 7e siècle[125]. Inévitablement, les fouilles marquées par des découvertes de structures romaines ont traversé des couches mérovingiennes et carolingiennes : le seul bâtiment important découvert jusqu'à présent est la grande salle maçonnée en opus africanum, sous le cloître de la cathédrale. Les autres rares témoins consistent dans les différents objets retrouvés dans le lit de l’Escaut, à proximité des anciens débarcadères mérovingiens et carolingiens, sous l’actuel quai du Marché-aux-Poissons, et datés du 8e siècle[126]. Ils attestent d’une certaine activité artisanale, à proximité immédiate du port: difficile dans ce contexte de croire à un arrêt total des activités portuaires héritées du Haut Empire romain.

 

Selon le professeur J. Pycke, il faut mettre à l’actif de l’évêque Eloi (641-659) la sacralisation de sa ville épiscopale par la création de sanctuaires aux portes de celle-ci. Eloi est en effet connu pour avoir remis en valeur et relevé les reliques des saints de la première évangélisation: saints Martin et Brice à Tours, saint Quentin dans la ville du même nom et saint Piat à Seclin, près de Tournai. Fait remarquable, les quatre plus anciens sanctuaires connus de la cité scaldienne et situés près des entrées de celle-ci, extra muros, ont acquis ces patronymes[127]. Le recours à Saint-Pierre ou Saint-Martin comme patron d'église est en effet très fréquent au haut Moyen Age dans la vallée de l'Escaut; G. Berings a pu établir que respectivement 48 et 41 établissements religieux au moins, situés sur le fleuve, portaient alors ces patronymes respectifs[128]. Pour Tournai cependant, l’archéologie, à l’exception de l’église Saint-Piat, n’a pu confirmer cette antiquité: les premiers sanctuaires attestés remontent au plus tôt à la seconde moitié du 9e siècle, et plus vraisemblablement au début du siècle suivant[129]. Cette attribution mériterait donc une étude plus approfondie. Pour l'église Saint-Martin, il y a bien le témoignage d'Hériman de Tournai, qui mentionne la découverte de tombes avec mobilier vers 1120-1130 autour du sanctuaire, et qu'il y a lieu d'interpréter comme étant d'origine mérovingienne[130]. L'auteur du Liber de restauratione monasterii S. Martini apporte cependant cette information à l'appui de son argumentation concernant la prétendue origine mérovingienne de l'abbaye du temps de saint Eloi[131] -la fondation de Saint-Martin en 1092 par Odon[132] n'aurait été, selon lui, qu'une restauration-, et dont le patrimoine aurait été dispersé et usurpé avec les invasions normandes et la fuite des moines à Ferrières, au sud de Paris[133]. De toute cette théorie plutôt farfelue, on ne retiendra que l'existence probable d'une petite église extra muros, probablement à vocation funéraire -la proximité de la nécropole mérovingienne de l'Hôtel de ville plaide dans ce sens-, et autour de laquelle s'est établie une abbaye bénédictine à la fin du 11e siècle.

 

2.3.3 L’essor de Tournai à l’époque carolingienne

 

Dans le courant du 9e siècle, Tournai semble sortir de sa léthargie: la cité réapparaît dans les textes. Cette recrudescence de sources est difficilement interprétable, tant la période précédente était caractérisée par un vide historique. Toutes proportions gardées, on y verra le signe d’une certaine forme de dynamisme retrouvé. Tout le problème est d’apprécier ces informations à leur juste valeur.

 

Un premier élément significatif est la continuité de la liste épiscopale entre 814 et 902. Les dynastes carolingiens veillent à assurer à leur politique religieuse des rouages locaux efficients. Pour seconder -voire tempérer- l’autorité de l’évêque, un comte laïc apparaît à ses côtés dès 817[134]. Hruoculf -c’est son nom- obtient alors de l’empereur une partie du fisc royal de Tournai, soit une portion du domaine comprenant un centre d’exploitation (caput fisci) dans la ville même et les deux villae d’Orcq et de Marquain, à la périphérie de la cité. Les dynastes carolingiens veillent également à renforcer les liens existant entre le prélat tournaisien et la métropole, Reims.

 

Le 20 novembre 817[135], Louis le Pieux concède à l’évêque Wendilmar à sa demande trois lots du domaine royal, sis dans la ville même, afin d’y bâtir les claustra canonicorum, dans l’optique prévue par la Regula canonicorum d’Aix-la-Chapelle. Afin d'inspecter les lieux, l'empereur y dépêche l'abbé de Saint-Germain-des-Près Irminon et deux de ses fidèles missi, Ingobert et Hartman. La précocité avec laquelle Tournai bénéficie des largesses de l’empereur -la cité scaldienne serait la première de l’archevêché de Reims- est un indice certain de l’importance, à tout le moins religieuse, de la ville dans l’échiquier carolingien[136]. Les fouilles déjà menées à la place de l’évêché et sous le cloître roman de la cathédrale, devraient permettre un jour de matérialiser in situ l’influence de cette décision impériale. Un autre élément d'information capital du diplôme de 817 est qu'il atteste qu'au début du 9e siècle, l'empereur détenait sous la forme de fisc une bonne partie du cœur de la ville[137], aux alentours immédiats de la cathédrale. Comme l'a fait remarquer F. Vercauteren[138] et avant lui P. Rolland[139] et H. Pirenne, le fisc royal de Tournai, attesté au début de la période carolingienne où il avait déjà été en partie cédé à un vassal (Werimfridus) et à un fonctionnaire de l'empereur (le comte Hruoculf), a toutes les chances d'être d'origine romaine. Plus tard, profitant d'une autorité royale chancellante, l'évêque s'efforce d'asseoir la possession de son patrimoine; en 842, celui-ci se voit confirmer le privilège de l'immunité sur tous ses biens à l'intérieur de la cité[140]. Autre propriétaire important au sein de la cité de Tournai, l'abbaye de Saint-Amand, y détenait au milieu du 9e siècle deux moulins, deux parcelles de terres ainsi que six camsiliones, soit des redevances en pièces de textile[141]. Ces biens de l'abbaye d'Elnone sont sans doute issus de donations royales mérovingiennes, remontant peut-être à l'époque de saint Amand, à l'instar de ce que le prédicateur acquit à Gand ou à Anvers.

 

Le témoignage le plus intéressant relatif au «renouveau» de Tournai à l’époque est celui de Milon de Saint-Amand, un écolâtre de l’abbaye voisine d’Elnone, sise à quelques kilomètres en amont de l’Escaut. Milon écrit entre 845 et 855: la ville, dont on pleure l'écroulement des fières tours, se redresse grâce à l'activité de son portus, qui regorge de marchandises, grâce à son siège épiscopal conservé dans un élégant temple en construction, au cœur de la cité, et enfin grâce aux reliques de l’évêque Rémois Nicaise (5e siècle) qui y ont été apportées, et qui reposent dans une urne précieuse -une église memoria?- à proximité[142]. Le signe le plus marquant de cette vitalité est l'érection de la nouvelle cathédrale, media in arce. Le contraste semble clairement énoncé entre, d’une part un ensemble épiscopal et capitulaire florissant -qu’on songe aux conséquences qu’à dû avoir sur le bâti le diplôme de 817-, et d’autre part une enceinte en ruine -qu’on ne peut identifier qu’avec les fortifications du Bas Empire, alors vieilles de plus de cinq siècles[143]-. L'arx en question connote une idée assez marquée de défense, de protection, bien davantage encore que le terme urbs. Au milieu du 9e siècle, Milon de Saint-Amand met donc l'accent sur le fait que le caractère fortifié de la ville est toujours bien visible dans le paysage, même si les vieilles enceintes tombent en ruine.

 

L’enceinte romaine, encore en place au 6e siècle lors du siège de Tournai par Sigebert, a perdu, c’est un fait, toute efficacité lors des incursions normandes du 9e siècle[144]. Après les dégâts causés en 880, la protection de la cité devient une nécessité: c’est dans ce contexte qu’il faut interpréter l’autorisation accordée en 898 par Charles le Simple à l’évêque Heidilon pour redresser les fortifications[145]. Cette concession s’accompagne du transfert d’une série de prérogatives jusque là dévolues au comte laïc: droit de battre monnaie, d'organiser un marché, de percevoir des droits d’accostage ou de quai (rivaticum) et surtout de tonlieu. Pour autant que le diplôme de Charles le Simple ait été suivi dans les faits, il n’y a pas lieu, à notre avis, de parler d’enceinte épiscopale: il est peu probable que l’évêque ait eu les moyens de construire des fortifications ex nihilo, en dehors du tracé de l’enceinte du Bas-Empire[146]. On n’a d’ailleurs jusqu’à présent trouvé aucune trace matérielle de cette prétendue enceinte épiscopale. A la différence d’autres villes, comme Cambrai refortifiée à la fin du 9e siècle[147], Tournai dut donc attendre le 11e siècle pour voir ses nouveaux quartiers protégés. Cela devait être chose faite avant 1092, puisque l'abbaye de Saint-Martin s'implante alors prope muros urbis Tornacensis[148], à moins que les murs en question concernent la vieille enciente romaine. Reste à déterminer quand précisément fut construite ce que d'aucuns appellent la "première enceinte communale". Et que faut-il faire des mentions de Tournai comme castrum en 1038 et 1054[149]?

 

L’économie de la cité connaît à l’époque carolingienne un essor important, qui semble être intimement lié au développement du commerce fluvial. A en croire Milon de Saint-Amand qui écrit vers 850, la ville doit à la présence de l’eau et d’un marché sa renaissance[150]. En 854, un diplôme évoque pour la première fois l'existence d'un tonlieu -vraisemblablement une forme de péage pour toute marchandise traversant l'Escaut- qui devient alors propriété du chapitre[151]. La concession en 898 par Charles le Simple du tonlieu, du droit de rivage, du marché et de la monnaie témoigne de cette vitalité: l’autorité royale chancelante et le comte de Flandre se faisant de plus en plus menaçant, l’évêque de Tournai s’est empressé de mettre la main sur l’ensemble des revenus issus de l’activité économique de la cité. Ce diplôme mentionne d’ailleurs deux points d’activité -le marché et le port- liés à deux quartiers en pleine expansion, Saint-Pierre et Saint-Quentin. Les dires de l’écolâtre Milon au sujet du renouveau économique de la ville vers 850 prennent ici toute leur signification : Saint-Pierre de media urbe est à proximité du portus, et Saint-Quentin de foro est le lieu où se déroule le marché[152]. La toponymie de ces lieux n’est d’ailleurs pas innocente: saint Pierre est par tradition le patron des marchands: son nom est très souvent mis à l’honneur dans un contexte commercial, comme à Valenciennes un peu plus tard[153]. Les fouilles menées sous le sanctuaire roman détruit au début du 19e siècle n’ont pas permis de déceler un lieu de culte antérieur au tournant des 9e et 10e siècles[154]: de toute évidence, le site connaît donc un essor sans précédent à l’époque carolingienne. Quant à l’église Saint-Quentin, elle est explicitement mentionnée comme étant au cœur du forum, la place de marché. Les sondages réalisés après la seconde guerre mondiale sous le bâtiment actuel ont fait remonter l’origine de l’implantation au 10e, voire 11e siècle. Par ailleurs, des fouilles menées sous la Grand’-Place en 1997, ont mis au jour un sanctuaire de la même époque ou un peu antérieur, mais qui ne survivra pas au développement économique de Tournai aux 12e et 13e siècles, époque à laquelle l’édifice mononef de 6,2 m sur 8 est rasé, et la place de marché agrandie[155]. Quant à la petite église mérovingienne de Saint-Piat, elle fait place au 9e siècle à un édifice plus confortable, de plan basilical à 3 nefs[156].

 

La difficulté consiste ici à attribuer l’origine de ces sanctuaires neufs. Ils apparaissent au 10e, voire au 11e siècles, mais à quel essor faut-il les rattacher? Sont-il la conséquence tardive du développement carolingien, par-delà l’interruption normande, ou matérialisent-ils un renouveau économique précoce, attesté par les textes au moins à partir du début du 11e siècle?

 

Un monnayage frappé vraisemblablement par le comte Hilduin ou son prédécesseur, sous l’empereur Charles le Chauve (875-877[157]), associe le nom de Tournai au terme portus (Tornaii Porti)[158]. Cette mention est de vingt ans antérieure au diplôme de Charles le Simple (898): elle est surtout exactement contemporaine à celle du seul monnayage de Valenciennes désignant également cette ville de portus. La correspondance est remarquable, et mériterait sans doute une enquête plus approfondie. On trouve par ailleurs des monnaies frappées à la même période -les années 875-877-, associant Tornacum et civitas[159]. Tournai-port ou Tournai-cité, les deux deniers ont été frappés avec le même coin de droit; les monnaies proviennent donc du même atelier et furent frappées au même moment[160]. Il n’y a dès lors pas lieu d’imaginer l’existence de deux lieux de frappe dépendant d'autorités émettrices différentes.

 

On retiendra également de ces monnaies qu’à côté du port, est évoqué le deuxième point fort de la ville carolingienne: Tournai est centre d’une cité dont les structures issues du Bas Empire romain ont perduré, grâce à la présence d’un évêque. Le poids et l’importance du prélat, désormais secondé par un chapitre de chanoines, s’affirment à tous les niveaux. A l’époque carolingienne, l’évêque peut être encore être limité dans son autorité par les pouvoirs du comte laïc; il lui faudra attendre le passage des Normands et l’écroulement du pouvoir royal pour s’affirmer -et pour longtemps- en seul maître de la cité scaldienne.

 

Enfin, certains historiens ont vu dans deux tarifs de tonlieux perçus à Tournai au 12e et 13e siècles des réminiscences d'un document d'origine carolingienne, notamment parce qu'ils mentionnaient le commerce d'esclaves et d'or[161].

 

2.3.4 Développements ultérieurs: des destructions normandes à la reprise des 10e et 11e siècles

 

L’essor que connaît la ville à l’époque carolingienne ne résiste pas aux incursions normandes. La menace est présente dès le milieu du 9e siècle, mais se matérialise surtout au cours de l’année 880: les Normands remontent alors le cours de l’Escaut et dévastent tout le nord du royaume[162].

 

Il est malaisé d’apprécier précisément la portée et l’ampleur de ces destructions pour Tournai, mais l’historiographie locale (Historiae Tornacenses), via Hériman de Tournai, a transformé l’événement en un exil de la population à Noyon, pour trente ans. Si exil il y a eu, il n’a probablement pas été aussi long ni aussi brutal: l’Elevatio Eleutherii, écrite vers 897, laisse penser que les tournaisiens avaient trouvé refuge à Blandain, à quelques kilomètres à l’ouest de Tournai, mais qu’ils réintégrèrent cette année-là la cité avec le transfert des reliques d’Eleuthère en la cathédrale[163]. La même source précise que la vieille basilique dédiée à Saint-Etienne -peut-être l’édifice situé sous la cathédrale actuelle- est alors en ruine, à côté d’une église vouée à Notre-Dame[164]. C'est donc sans doute à la suite des destructions normandes -mais pas forcément en conséquence de- que la cathédrale double carolingienne sera remplacée par un édifice unique, entièrement dévolu à la Vierge. Notons cependant que le souvenir d'Etienne fut conservé très longtemps à Tournai, puisque le maître autel de la cathédrale était, encore au 16e siècle, dédié au premier martyr[165].

 

Le passage des Normands, outre les destructions matérielles qui ont pu en découler, a surtout engendré une instabilité politique aux conséquences fondamentales. Situé aux confins septentrionaux du royaume, Tournai vacille entre les derniers dynastes carolingiens, affaiblis et lointains, et les appétits du comte Baudouin II de Flandre (879-918), dont les visées sur Tournai se font de plus en plus précises[166]. L’entreprise du comte de Flandre de conquérir la cité échoua, mais il s’en assura le contrôle en installant son représentant dans un château, sur l’îlot Saint-Pancrace, un peu en aval de Tournai. S’il ne parvint jamais à se rendre maître de la cité en elle-même, le comte plaça donc de facto Tournai sous sa tutelle, maîtrisant les allées et venues sur le fleuve et tout le territoire environnant[167].

 

La ville intra muros, par le diplôme de Charles le Simple de 898, passe quant à elle intégralement aux mains de l’évêque. Le dernier comte laïc de Tournai, Hilduin, lui cède alors la totalité des droits régaliens, dont la possession du fisc royal, les privilèges de battre monnaie et de percevoir les droits de rivage/quai, de marché et de tonlieu[168]. Cette concession est précoce: à Cambrai, l’évêque ne rentre en possession du comitatus qu’en 1007; à Beauvais en 1015[169]. L’évêque de Tournai a-t-il eu les moyens d’assurer la perception de ces différents revenus, alors qu’il séjournait la plupart du temps à Noyon ? Pour ne citer que cet exemple, aucun monnayage épiscopal n’est connu avant 1092[170]. Dès le milieu du 10e siècle, l’évêque Fulcher avait de fait concédé la monnaie en fief à des laïcs. En 988, les droits épiscopaux sont confirmés par une bulle de Jean XV[171]. La première trace de monnayage tournaisien, à la fin du 11e siècle, est tardive et correspond à la reprise des activités économiques.

 

Outre le groupe cathédral, une église fait son apparition intra muros: Saint-Pierre, au cœur du quartier portuaire, datée par les archéologues de la fin du 9e au début du 10e siècle et attestée par les textes dès 952. Bien qu’en dehors de la juridiction de la cité, le quartier Saint-Brice, sur la rive droite de l’Escaut et faisant face à celui de Saint-Pierre, connaît également à l’époque un certain dynamisme. L’église la plus ancienne repérée sur le site daterait du 10e siècle[172]. En dehors des murs, semblent également se multiplier les chapelles. A côté de la paroisse alors unique de Notre-Dame, une confirmation papale des possessions du chapitre cathédral (1108)[173] mentionne dans l'ordre les chapelles de Saint-Pierre, de Saint-Piat, de Saint-Quentin, de Saint-Eloi[174], de Saint-Pierre[175], de l'Hôpital[176] et de Saint-Médard[177]; il est possible que ces établissements, du moins Saint-Eloi et Saint-Pierre, remontent à la période carolingienne. Il faut noter que seules les trois premières -les seules d'ailleurs bien connues par la voie archéologique- se mueront en église paroissiale. Enfin, l'ecclesiola de Saint-Martin vient compléter la topographie religieuse de la cité; elle n'est pas citée dans la confirmation de 1108 car elle fut donnée par l'évêque Radbod à Odon en 1092 afin d'y établir une communauté monastique[178].

 

Entre 880 et la fin du 10e voire le début du siècle suivant, la cité scaldienne semble en léthargie. C’est que, par contraste avec la paix relative instaurée sous les premiers carolingiens, la période est particulièrement instable: le commerce sur l’Escaut et la circulation des marchands ont dû fortement en pâtir. Tournai ne reparaît dans les textes qu’en 1013, date à laquelle la Vita Prima Macharii mentionne des marchands de laine actifs sur l’Escaut entre Tournai et Gand[179]. Au début du 11e siècle, la ville est habundans opibus, plena civibus, referta venalibus[180]. Le commerce de la pierre reprend également au 11e siècle. Pour reprendre les termes du professeur J. Pycke: le mouvement n’allait plus être interrompu[181].

 

 

2.4 Ename

 

Tournai et Valenciennes, par le succès économique qu’elles ont connu à l’époque carolingienne, ont sans doute su préparer le terrain à un développement plus radical à la période suivante; Ename, par contre, n’a pas su dépasser le cap de son portus et se mua à la fin du 11e siècle en une abbaye. Cet échec -puisqu’il faut bien parler d’échec, au vu du développement ultérieur du site- est un-contre exemple dans le concert des villes situées le long de l’Escaut. Comment expliquer ce phénomène? Et surtout, comment l’interpréter, dans la perspective qui est la nôtre, c’est-à-dire qui tend à dépasser les particularismes locaux?

 

Ici, plus encore qu’ailleurs, la prudence et le sens de la nuance sont de mise. Tout d’abord, une réflexion s’impose: Ename n’est citée en tant que portus, au même titre que Tournai, que tardivement, au début du 11e siècle. Mais à la différence de la cité tournaisienne, dont le portus carolingien est attesté, le développement d’Ename est tardif; peut-on dès lors la comparer à des sites eux «réellement» carolingiens? Ne faudrait-il pas plutôt rattacher le développement d’Ename à l’essor que connaissent de concert les portus de la vallée de l’Escaut à la fin du 10e voire le début du siècle suivant, et exclure dès lors le site de notre champ d’étude? S’il nous a personnellement semblé intéressant d’étudier le cas d’Ename, c’est qu’il présente des caractéristiques uniques, du point de vue de ses origines, de son développement et de son déclin, et que pour ces diverses raisons il méritait une analyse approfondie.

 

Le cas d’Ename -et pour cause- n’a pas véritablement suscité l’enthousiasme des historiens, et qu’encore il y a peu, les publications portant sur le sujet se comptaient sur les doigts d’une main[182]. Depuis quelques années, à l’initiative notamment du service archéologique de la province de Flandre Orientale qui y a installé un centre d’étude, Ename suscite davantage l’intérêt du monde scientifique. En réalité -et c'est sans doute en cela qu'Ename se distingue le plus des autres sites étudiés ici- l'importance du site n'a été vraiment mise en lumière que grâce aux développements de l'archéologie. Le corpus des sources écrites est très faible; le dossier historique qui suit comporte dès lors inévitablement des références à des compte rendus de fouilles, au risque de faire double emploi avec le catalogue archéologique, objet de développement ultérieur.

 

2.4.1 Les origines et la phase pré-urbaine

 

Le village d'Ename est situé un peu en aval d’Audenaarde, à mi-chemin entre Tournai et Gand, sur la rive droite de l’Escaut. L’implantation du site à cet endroit du fleuve doit beaucoup au méandre emprunté par l’Escaut et qui entoure naturellement le site à l’ouest, au nord et à l’est. Cette disposition, outre ses avantages défensifs certains, autorisait par ailleurs une vision sans égale sur toute embarcation empruntant le moyen Escaut, et contrôlant de la sorte tout le commerce fluvial entre les villes et monastères du haut Escaut et la façade maritime. L’étymologie rappelle cette situation privilégiée: Ename serait un composé d’origine germanique associant les termes «agin», provenant de «agi» ou «agina» et signifiant la «berge parallèle à une rivière» et «hamma», désignant une «langue de terre avancée dans un terrain inondable»[183].

 

Le site a été occupé à la préhistoire, de l’âge de la pierre jusqu’à l’âge du fer: les niveaux d’occupation pré-carolingiens ont révélé la présence de silex, d’os et de céramiques diverses[184].

 

La phase suivante d’occupation est carolingienne. Les archéologues ont mis au jour de la céramique datée de la fin du 8e voire du début du siècle suivant. A l’emplacement supposé de ce qui deviendra plus tard le portus, plusieurs trous de poteaux ont été découverts dans une couche sablonneuse gris clair[185]. Ces découvertes, relativement modestes, laissent penser qu’entre la fin de l’âge du fer et le milieu du 8e siècle, le site a connu une éclipse, avant de redémarrer à l’époque carolingienne. Cette reprise tardive et limitée correspond avec ce qu’en disent les rares sources écrites: la première mention d’Ename n’est pas antérieure à la fin du 9e siècle. L’abbaye gantoise de Saint-Pierre détenait alors certains tributs d’habitants de la villa Ehinham[186]. Ename n’était donc à la période carolingienne pas plus qu’un gros bourg agricole: le site n’a pas encore acquis de dimension économique ou militaire de première importance. Beaucoup plus tard (1024-1025) les Gesta Episcoporum Cameracensium[187], reprennent cette appellation de villa, en y ajoutant le terme castrum: L. Millis et D. Callebaut y voient la preuve que, malgré la dimension nouvelle acquise au 10e siècle, le site a toujours conservé son caractère agricole originel[188].

 

A proximité d’Ename, des zones d’habitat sont attestées au 9e siècle. Un texte de 847 mentionne, dans le pagus de Brabant, le lieu-dit «Squindresch», que d’aucuns ont identifié avec le toponyme «Zwijndriesch», à 800 m d’Ename[189]. Le territoire du futur castrum, semble en tous les cas avoir dépendu, jusqu’au milieu du 10e siècle, de l’église Saint-Vaast, établie à Nederename[190].

 

2.4.2 Le portus d’Ename

 

A en croire les Gesta Epsicoporum Cameracensium rédigées en 1024-1025, la construction d’un ensemble fortifié et l’organisation d’un marché (mercatum stauere), du portus (navigium, teloneum) et d’autres activités commerciales (cetera negotia) sont à mettre à l’actif de Godefroid de Verdun et son épouse Mathilde, entre 962 et peu après 998[191]. La marche[192] d’Ename était issue du démantèlement de l’ancien pagus Brabactensis, décidée par les empereurs Ottoniens. A la mort de Otton I en effet, en 973, une marche d’Ename avait été instituée, comme ce fut le cas également pour Valenciennes, et concédée au fidèle Godefroid. Le bourg conserva son statut jusqu’à l’échange de 1047, où il passa aux mains du comte Baudouin IV de Flandre. Ename fit alors partie -et pour longtemps- d’un territoire d’exception, appelée la Flandre impériale, et situé sur la rive droite de l’Escaut. Par cette transaction, le comte de Flandre, vassal naturel du roi de France, devenait également vassal des empereurs germaniques.

 

De quand date précisément la fortification du bourg? De 973 ou peu après, lorsque Ename devint le centre politique et militaire d’une marche de l’Empire, ou peu auparavant? Par ailleurs et malgré ce que prétendent les Gesta Episcoporum Cameracensium, la création d’un marché et l’organisation du portus ne doivent pas être automatiquement couplés à la fortification du site.

 

La première mention du site en tant que portus est tardive: elle date de 1012. A cette date, la Vita S. Macharii évoque un gynécée -soit une résidence réservée aux femmes?- sise dans le portus Einhamma[193]. Les Gesta epsicoporum Cameracensium, on l’a vu, attribuent à Godefroid et son épouse -c’est-à-dire pas avant 964- toute la dynamique commerciale d’Ename.

 

L’archéologie cependant invite à la prudence. Les fouilles menées aux alentours de l’église Saint-Sauveur ont en effet révélé à l’endroit supposé du portus -soit un peu amont du castrum- trois niveaux d’occupation successifs. Le premier est le niveau carolingien, constitué d’un sable gris clair dans lequel ont été repérés des trous de poteaux. Deux niveaux plus jeunes ont également été mis au jour: ils sont à mettre directement en relation avec le portus de la fin du 10e siècle[194]. Le site était donc occupé à l’époque carolingienne; nul doute que le nouveau statut d’Ename en 973 et la construction du château en ont alors fortement stimulé l’activité, mais il ne s’agit en tous cas pas d’une création ex nihilo, ce que pourrait laisser penser le passage des Gesta episcoporum Cameracensium[195].

 

La localisation précise du débarcadère n’est pas certaine. On connaît approximativement l’emplacement du port après la construction de l’abbaye -c’est-à-dire la situation postérieure à 1063- par les textes et cartes anciens, notamment le plan de Jan Bale[196] (1661: parcelles n° 125: ‘t coye weken ou n° 126) et le plan cadastral Popp (parcelles n° 30 à 36 et 248 à 259), mais il n’est pas impossible que le débarcadère de l’abbaye ne corresponde pas précisément avec la situation antérieure. Les archéologues ont retenu trois emplacements possibles. Le premier, c’est celui situé au lieu dit «Sandaert» connu après le 11e siècle[197], dans la courbe extérieure du méandre de l’Escaut. Le second emplacement est situé à proximité du précédent, mais en aval du castrum, dans un méandre du fleuve aujourd’hui comblé. La dernière possibilité est la dépression, encore visible à l’heure actuelle, qui entoure la parcelle nommée coye weken sur le plan de Jan Bale, un peu à l’ouest du débarcadère tardo-médiéval[198].

 

Quelle que soit la localisation du portus, il est en tous cas certains qu’il se trouvait en dehors du castrum, mais à peine à une centaine de mètres des fortifications. Entre le débarcadère et le donjon, on trouve un espace qui aurait très bien pu convenir à l’installation d’un marché.

 

L’activité du port est attestée par la découverte, dans les couches des 10e et 11e siècles, de poteries diverses, de fabrication locale[199] ou importées de la région du Rhin, de la Meuse ainsi que de France[200]. Les fondations du donjon ont par ailleurs été réalisées partiellement en calcaire tournaisien. Le portus abrite également des artisans: divers débris attestent de la présence d’un orfèvre et d’une fonderie de bronze. La présence d’un gynécée à Ename -si l’on en croit les Gesta Episcoporum Cameracensium- peut en soi être un témoignage d’activité économique, de travail de la laine par exemple[201]. D’autant que l'on sait que le commerce de textile est à l’époque en plein essor[202].

 

Qu’en est-il exactement du castrum, également appelé castellum dans les textes[203]? La fortification d’un méandre de l’Escaut semble être intimement liée à l’élévation de Ename au statut de centre de marche, en 973. On y installe alors un donjon, sur la rive gauche du fleuve, pour faire face aux prétentions du comte de Flandre. Le terrain fortifié –une parcelle d’une centaine de mètres de côtés, soit environ un hectare de superficie- est protégé naturellement par l’Escaut sur trois de ses côtés. Vers le sud, on ferme le côté accessible par voie terrestre par un fossé de 140 m de long d’un maximum de 18 m de large et de 5,70 m de profondeur[204]. Le fossé devait être vraisemblablement surmonté à l’origine d’une levée de terre, elle-même ponctuée d’une palissade de bois. Dans l’angle sud-ouest du castrum, à proximité immédiate de l’Escaut et du fossé, les archéologues ont mis au jour les soubassements d’un grand bâtiment rectangulaire, de 27 m sur 10 m. Les imposantes fondations de l’édifice étaient constituées de trois couches superposées: un radier de rondins de bois, disposés en grille, une couche de gros moellons de pierre bleue, et enfin le départ du mur en lui-même, également constitué de calcaire tournaisien. L’épaisseur des murs de fondations, entre 3 et 4,40 m, atteste que le bâtiment devait disposer de plus d’un étage; si l'on ajoute à cela l’utilisation de la pierre et l’emplacement privilégié de l’édifice, il ne fait aucun doute qu’on est là en présence du donjon castral. Par ailleurs, d’équerre au mur occidental du bâtiment et parallèlement au fossé, les archéologues ont découvert la portion d’un mur de 1,40 m de large: il pourrait s’agir du mur d’enceinte en pierre -fait remarquable pour la période- de ce donjon[205]. L’existence d’une tour de pierre, entourée d’une fortification de même nature, est un fait presque exceptionnel pour la région à cette époque. Il faut y voir sans doute la proximité des carrières de pierre de Tournai et le souci des empereurs ottoniens de se prémunir des prétentions flamandes[206]. La chronologie de ces bâtiments reste cependant problématique; alors que jusqu'alors on suivait le témoignage des Gesta à la lettre, une datation récente de la céramique trouvée dans et à proximité du donjon en pierre tend à prouver que ce dernier ainsi que les constructions annexes ne furent érigés qu'à l'extrême fin du 10e siècle voire le début du siècle suivant[207].

 

Au centre du castrum, A.L.J. Van de Walle a mis au jour dans les années ‘40 les fondations de 1,90 m de large, d’une construction rectangulaire en pierre, constituée de trois salles distinctes. A l’ouest, une petite salle -la camera selon l’archéologue-; au centre une pièce de grandes dimensions -l’aula-; enfin à l’est une salle terminée par une abside, vraisemblablement une chapelle[208]. Tout comme le donjon, des sondages réalisés à l’époque ont révélé que l’ensemble était entouré d’une enceinte rectangulaire[209]. Plusieurs bâtiments en bois ont également été découverts à l’intérieur du castrum: au nord du donjon, un bâtiment a notamment été repéré. La largeur des trous de poteaux -jusqu’à 70 cm[210], laisse présager qu’à côté des bâtiments principaux, en pierre et disposant d’une enceinte propre, le castrum devait contenir plusieurs grands édifices de bois et torchis, à divers usages.

 

La topographie religieuse du site nous est assez bien connue. A l’origine, il semble que le territoire de la villa Ehinham ait dépendu de l’église Saint-Vaast sise à Nederename, à moins d'un km au nord d'Ename[211]. Les fouilles de Van de Walle, sous l’édifice actuel, ont révélé l’existence d’une petite église mononef de 12,5 m sur 7,5 terminée par un chœur à chevet plat, de 6 m sur 4,8, et daté du 10e siècle[212].

 

Le premier sanctuaire local, à en croire les Gesta episcoporum Cameracensium, serait la chapelle castrale, fondée à l’initiative de Godefroid et Mathilde, soit entre 962 et 968. Celle-ci était dédiée à Notre-Dame, et gérée, d’après les textes, par un chapitre de chanoines[213]. Les fouilles à l’intérieur du castrum ont effectivement permis la découverte d’une chapelle en lien direct avec des édifices de représentation, dont l’aula comtale. Le bâtiment mis au jour, d’une longueur de 13 m, était mononef, ponctué par une abside vers l’est[214].

 

Les deux églises extra muros sont, elles, de fondation légèrement plus tardive. Les Gesta attribuent l’origine des sanctuaires de Saint-Laurent et de Saint-Sauveur -situés respectivement à 275 et à 575 m du castrum-, au successeur du comte Hermann, c’est-à-dire entre 998 et 1025. Les patronymes concordent bien avec l’idéologie ottonienne[215]. La plus intéressante des deux est celle vouée à saint Laurent: c’est l’église du portus, située à une centaine de mètres ou moins du débarcadère. L’édifice retrouvé sous le bâtiment actuel était bâti en calcaire tournaisien avec les mêmes caractéristiques en plan et la même orientation que la chapelle castrale. Les différences avec le sanctuaire du castrum résident dans la taille de l’édifice -27 x 10,3 m- et en la présence, à l’ouest, d’un bâtiment carré, sans doute un westbau, où se trouvait l’entrée[216]. La fondation de cette église est sans nulle doute à mettre en relation avec l’accroissement démographique et le développement des activités économiques que connaît Ename en la fin du 10e siècle .

 

La seconde église extra muros est Saint-Laurent. L’édifice n’a pas encore été fouillé; le bâtiment actuel, de 34 m sur 20, est de plan basilical, à trois nefs, avec chœur à chevet plat. Le style général de l’église, qu’on peut rattacher au groupe mosan, s’explique par les origines lotharingiennes des fondateurs, alors qu’on se trouve dans la vallée de l’Escaut[217].

 

2.4.3 Ename après 1050

 

Devenue centre d’une marche de l’empire, Ename connaît, de 973 au milieu du 11e siècle, une prospérité remarquable. Inévitablement, le site suscite des convoitises. Déjà en 1024-1025, les Gesta episcoporum Cameracensium signalent, après une période d’efflorescence, des troubles[218]: il faut y voir une allusion au conflit opposant le comte de Flandre Baudouin IV à l’empereur Ottonien Henri II. En 1033, le comte de Flandre parvint même à s’emparer du château et, à en croire Sigebert de Gembloux[219] et l’auteur des Annales Elmarenses[220], il le détruisit.

 

En 1047, Ename entra dans les possessions des comtes de Flandre et de Hainaut par transaction avec le comté de Chièvres[221]. L’ensemble fut alors intégré dans le Pays d’Alost et constitua la Flandre impériale, ce territoire d’exception situé sur la rive droite de l’Escaut, aux mains du comte de Flandre mais sous la tutelle des empereurs germaniques. Aussitôt la transaction réalisée, Ename perdait toute fonction militaire et stratégique, si ce n’est le contrôle de l’Escaut.

 

En 1063, le comte de Flandre y fondait une abbaye. L’abbé Walbrecht et ses moines reçoivent alors l’antiquum castellum, pour y construire les bâtiments nécessaires[222]. Dès 1070 néanmoins, les religieux avaient déjà déménagé au monasterium sancti Salvatoris[223], soit en dehors du castrum, dans le portus. Les fouilles à proximité de l’église Saint-Sauveur ont révélé que l’intégralité du sol à cet endroit a été nivelé par le chantier de construction du cloître et des bâtiments conventuels[224]. Qu’est-il advenu alors du castrumet des bâtiments qu’il renfermait? Il semble que le château n’ait pas été intégralement détruit par les incursions du comte de Flandre, notamment celle de 1033. Lors de la prise de possession de la rive droite, en 1047, le donjon pouvait toujours servir de tour de guet sur l’Escaut[225]. Quant aux autres bâtiments -l’aula, la camera et la chapelle Notre-Dame-, ils ont pu servir aux besoins de l’abbaye. L’église était encore connue, avant le 19e siècle, sous le nom de Lotthrycke, en souvenir de son origine Lotharingienne[226].

 

Les activités commerciales, elles, n’ont pas cessé avec l’implantation de l’abbaye. Le tonlieu, qui avait été cédé pour moitié à l’abbaye Saint-Pierre de Gand en 1038 revient intégralement aux moines de Saint-Sauveur d’Ename en 1063, ainsi que toute perception sur le fleuve. Le marché annuel semble également se maintenir, autour de la fête de Saint-Laurent[227]. Nul doute cependant que les activités économiques ont dû pâtir du changement de statut. L’église du portus, Saint-Sauveur, devient l’abbatiale et les activités portuaires semblent dès lors limitées aux besoins de l’abbaye. Il faut sans doute voir dans le développement d’Audenaarde, contemporain de l’abbaye d’Ename, la preuve que les forces vives du site ont alors migré plus en amont de l’Escaut[228].

 

La mutation du castrum d’Ename, fondé de toutes pièces dans le second tiers du 10e siècle, en une abbaye un siècle plus tard, n’a pas permis au site de «décoller». Ename, dès lors, à la différence de Valenciennes, Tournai ou Gand n’a jamais su acquérir la statut d’une véritable ville.

 

 

2.5 Gand

 

Les sources historiques abondent pour Gand. Le site, situé au confluent de la Lys et de l'Escaut, a dès le début concentré l’attention des historiens, sans doute grâce à l’implantation précoce de deux grandes abbayes, Saint-Pierre et Saint-Bavon[229]. L’archéologie, si elle a mis plus longtemps à se mettre en œuvre, permet aujourd’hui de se faire une idée assez précise de la situation de la ville au haut Moyen Age.

 

2.5.1 L’histoire pré-carolingienne de la ville de Gand (1er - 7e siècles)

 

Le confluent de la Lys et de l’Escaut était un endroit trop intéressant stratégiquement pour qu’aucun homme ne songe, assez tôt, à s’y installer. Des fouilles archéologiques ont mis effectivement au jour du matériel du second âge du fer. L’essor véritable du site est néanmoins plus tardif: une agglomération romaine y a vu le jour au milieu du 1er siècle après J.-C. et perdura jusqu’au 4e siècle: de nombreux vestiges ont été découverts, notamment en dehors de la ville du haut Moyen Age, sur les sites où se développeront plus tard les abbayes Saint-Pierre et Saint-Bavon[230]. Sur le territoire des communes de Destelbergen et Eenbeekeinde, à l’est en aval de Gand, on a par ailleurs trouvé les traces d’un quartier artisanal et agricole fortifié et une nécropole, remontant à 50 après J.-C et abandonnés avec les invasions germaniques à la fin du 3e siècle. En face, sur la rive droite de l’Escaut se trouvait Gentbrugge: ce toponyme laisse penser qu’il existait de haute antiquité à cet endroit un pont sur le fleuve, sur la chaussée romaine reliant Bavai à Ganda. Le site était donc habité à l’époque romaine, et était un point de passage obligé pour tout le commerce pouvant alors s’exercer sur l’Escaut et sur la Lys. Le nom même de la ville rappelle la situation privilégiée de Gand: le terme provient du celtique Ganda, signifiant confluent. Le nom, sous la forme Gandavum, s’est par la suite étendu à la ville entière[231].

 

A l’époque mérovingienne -7e ou 8e siècle-, le site pourrait avoir été, à en croire la Vita Amandi rédigée au 8e siècle, le centre d’un pagus Gandao. Un comte nommé Dotto, chef de cette entité administrative, y aurait présidé à la fin du 7e siècle un tribunal, le mallus[232]. La Vita Eligii, quasiment contemporaine, désigne un municipium Gandense: on peut y déduire l’existence d’une agglomération urbaine, peut-être fortifiée[233]. A l’exception de la Vita S. Bavonis, rédigée dans la première moitié du 9e siècle[234], et du témoignage poétique de Milon de Saint-Amand, qui évoquent l’existence d’un castrum Gandavum, ni les nombreuses sources littéraires et diplomatiques, ni l’archéologie n’ont révélé une fortification antérieure au 9e siècle[235]. Peut-être le castrum en question est-il néanmoins la réminiscence d’une fortification de l’époque romaine, tombée en désuétude au haut Moyen Age[236]. Agglomération fortifiée ou non, il semble en tous les cas acquis que les incursions germaniques du début du 5e siècle n’ont pas réduit à néant la présence humaine à Gand. Les fouilles archéologiques ont révélé que tant le site de Destelbergen-Eenbeekeinde que celui en amont du confluent restent habités, même s’ils semblent se muer en des centres d’exploitation exclusivement agricoles. Jusqu’à présent, l’ensemble le plus remarquable mis au jour est le site du Port Arthurau Nord de Gand où l’on découvrit, en 1917, une nécropole datant du milieu du 6e à la fin du siècle suivant[237].

 

Un élément fondamental dans le développement de la ville est la fondation, dans le courant du 7e siècle, de deux abbayes[238]. La chronologie relative à leur installation est encore sujette à débat: c’est que les deux implantations ont rivalisé d’ingéniosité pour se voir reconnaître l’antiquité de l’une sur l’autre, d’où une interprétation malaisée des sources médiévales. Les dernières interprétations historiques confèrent néanmoins à l’abbaye de Saint-Bavon la primauté sur celle du Mont Blandin[239]. L’évêque missionnaire Saint-Amand, descendant l’Escaut, vint en effet s’installer vers 629-639 dans un petit bâtiment (cellula) en amont de l’agglomération urbaine, sur une bute sablonneuse surmontant la Lys et l’Escaut. Le saint construisit également un oratoire (cubiculum), à proximité -précise sa vita- de la potence à laquelle le comte Dotto avait pendu un condamné. L’endroit était le centre d’exploitation d’un domaine agricole, peut-être une villa ayant appartenu à l’époque romaine à un certain Blandius, et passée tardivement dans les possessions des rois mérovingiens. De là, Amand put entamer son œuvre d’évangélisation de la région. Saint Amand, malgré l’hostilité première des habitants de la ville[240], fit des émules: la cellule primitive se mua très rapidement en une véritable abbaye, sous les vocables des saints Pierre et Paul. Amand bénéficia pour ce faire de la générosité du roi Dagobert Ier (629-639), qui lui fit don des terrains entourant le sanctuaire primitif. Se rapprochant de l’agglomération, le saint érigea, encore avant 639, une basilique également vouée à saint Pierre, au confluent de la Lys et de l’Escaut. Cette église, avec le transfert des reliques de saint Bavon, acquit un peu plus tard (avant 676, date du décès d’Amand?) la dénomination qu’on lui connaît toujours actuellement. Plus fondamentalement, la présence des reliques de Bavon à Ganda suscita l’implantation d’une communauté religieuse, dont l’aura et la richesse surpasseront rapidement celles de l’abbaye voisine de Saint-Pierre au mont Blandin[241]. La seconde de ces deux abbayes était à l’origine, semble-t-il, un monastère double, qui se transforma en monastère d’hommes dans le courant du 8e siècle[242].

 

2.5.2 Gand à l’époque carolingienne

 

Gand connaît, à l’époque carolingienne, un essor remarquable, qui ne sera que brièvement interrompu avec le passage des Normands, en 851 et 879-881. On distinguera dans l’analyse les trois composantes principales de Gandavum: l’agglomération et les abbayes Saint-Bavon et Saint-Pierre au mont Blandin.

 

L’arrivée au pouvoir des carolingiens ne changea pas le statut de la ville. Surtout, le commerce par voie d’eau est alors en pleine expansion: par sa situation hydrographique privilégiée, Gand était appelée, irrémédiablement, à jouer un rôle dans ce développement économique. L’importance stratégique du lieu n’échappa pas à Charlemagne: en 811, il choisit Ganda -soit probablement à proximité immédiate du confluent[243]- pour y construire une flotte en vue de contrer la menace normande[244]. On sait par ailleurs que l’abbaye Saint-Bavon joua alors un rôle de premier plan dans la mise en place d’un vaste dispositif défensif, entre Gand et l’embouchure de l’Escaut.[245] Le choix de Charlemagne ne peut s’expliquer sans la présence d’une agglomération d’une certaine importance, déjà suffisamment urbanisée et industrielle pour contenir la main-d’œuvre nécessaire à une telle entreprise[246].

 

Un atelier de frappe de monnaies est attesté à l’abbaye Saint-Bavon entre 771 et 793/794[247], ainsi qu’à Gand de 860 à 875 (deniers de Charles le Chauve) [248]. L’endroit est appelé BAB SS (Saint-Bavon), Gandavum ou Gandavum Mone(ta). Tout le problème est de savoir si les derniers monétaires ont également été frappés à l’abbaye, ou si le portus avait son propre atelier.

 

Surtout, la ville est dénommée portus. Le Martyrologe d’Usuard utilise l’expression vers 865[249]; c’est, pour la vallée de l’Escaut, le plus ancien emploi du terme. Il est question de la fête de Saint-Bavon célébrée in portu Ganda. Le terme vicus, utilisé en 870, confirme le statut commercial de l'agglomération[250].

 

Les historiens ont retenu deux emplacements possibles pour ce lieu de commerce. Le premier serait les abords de l’abbaye Saint-Bavon, c’est-à-dire sur l’Escaut, un peu amont du confluent. Cette hypothèse vient du fait que durant longtemps, l’abbaye Saint-Bavon a été désignée sous le nom de Ganda. Un autre argument est qu’une grande quantité de céramique d’importation, notamment de Badorf, a été retrouvée sur le site de l’abbaye, alors qu’elle fait défaut dans l’agglomération[251]. Par ailleurs, on sait que des monnaies ont été frappées sous Charlemagne à Saint-Bavon. Dans ce cas, le portus serait situé hors agglomération, et directement lié à l’abbaye.

 

Une deuxième localisation est néanmoins envisageable: c’est la rive gauche de l’Escaut, en amont de l’abbaye Saint-Bavon, à hauteur de l’église Saint-Jean (la future cathédrale Saint-Bavon)[252]. Plusieurs indices penchent en faveur de cette dernière possibilité. Tout d’abord, le terme portus, d’après la définition retenue par Niermeyer, renvoie à une agglomération commerciale[253], ce qui ne peut s’appliquer pleinement à un débarcadère proche de l’abbaye. Ensuite, l’Escaut est, à cette époque, une voie commerciale plus importante que la Lys: cela exclut d’office plusieurs emplacements. Enfin, le quartier retenu possède au 9e siècle divers atouts, qui le différencient du territoire environnant: Il est situé sur une hauteur, est protégé par un fossé, est situé à proximité de l’église Saint-Jean et du futur château de Gérard le Diable: on serait donc enclin à lier ce dynamisme à une activité portuaire.

 

Le portus mentionné en 865 est-il le débarcadère de l’abbaye ou l’espace ceint d’un fossé semi-circulaire, un peu plus en amont? Adriaan Verhulst, selon ses théories les plus récentes, évoque un glissement d’activité commerciale après le passage des Normands, en 879. A l’époque, le portus Ganda est détruit: il serait alors question du site proche de Saint-Bavon. Le portus jusqu’alors serait alors intimement lié à l’abbaye, et animé de marchands au service des besoins de la communauté monastique[254]. Par la suite, après les destructions normandes et peut-être sous l’impulsion de nouveaux marchands qui se seraient dégagés de l’orbite de l’abbaye, le centre des activités commerciales se serait déplacé 500 mètres en amont, bénéficiant de la protection du fossé. Ce portus s’est maintenu jusque durant la première moitié du 10e siècle, avant de se voir à son tour déclasser par un nouveau centre sis un peu plus à l'ouest, sur les bords de la Lys[255].

 

Quels sont les éléments caractéristiques de cette agglomération, située entre Lys et Escaut? Le site est habité de longue date, mais connaît, à l’époque carolingienne un développement particulier. C’est que l’emplacement est idéal: situé sur une légère hauteur sablonneuse -l’actuelle Gouvernementstraat-, il est une protection naturelle contre les inondations. Les pentes douces qui de là, descendent jusqu’à la rivière, forment un port naturel[256].

 

Un élément sans doute décisif pour la localisation du portus carolingien est, on l’a vu, la découverte en 1988 des traces d’un fossé semi-circulaire, sur une longueur de 75 m. Ce fossé, que laissaient deviner les plans anciens de Gand, était large de 14 m et profond de 3,40 m. Avec son diamètre de 300 m, il couvrait une superficie d’environ 7 hectares, soit tout l’espace compris entre la Jodenstraat et le Paddenhoek au sud, le début de la Mageleinstraat et la Regnessenstraat à l’ouest et la Biezekapelstraat et Nederpolder au nord[257]. Sa forme caractéristique en «D» et ses dimensions, le rattachent aux systèmes de défense découverts en assez grand nombre le long de la mer Baltique, dans l’est de l’Angleterre et plus près de chez nous, à Anvers. Les archéologues datent provisoirement cette découverte du 9e siècle[258]. Les menaces que faisaient peser les Vikings pourraient avoir été à l’origine de cette construction. Les Normands eux-mêmes pourraient très bien en être les instigateurs, lors de leur passage dans la ville, ce que laisse penser le nombre impressionnant d’exemples nordiques de ce type de défense. Les exemples étrangers montrent également que le fossé est creusé lorsque l’agglomération connaît un certain stade de développement. A Gand, le noyau pré-urbain pourrait dès lors remonter aux 6e ou 7e siècles[259]. Malgré l’absence de découvertes archéologiques significatives datant de cette époque, cela confirmerait l’intérêt porté par Amand, Bavon et leurs disciples au confluent de la Lys et de l’Escaut. La datation de cette fortification, les circonstances et les motifs de sa mise en place demeurent flous, mais le fossé aurait-il pu ne pas englober le portus Ganda carolingien, le centre des activités économiques?

 

Le troisième élément caractéristique de ce quartier sis entre Lys et Escaut, outre le fossé semi-circulaire, est la présence en son centre d’une église. Saint-Jean est la plus ancienne église urbaine de la ville, citée pour la première fois en 964, mais datant probablement du 9e siècle[260]. C’est l’église mère de Gand, d’où émergera à la fin 11e siècle, avec l’essor démographique de la ville, de nouvelles paroisses: Saint-Jacques en 1093, puis Saint-Nicolas et en 1105 Saint-Michel sur la rive gauche de la Lys[261]. Devant l’église Saint-Jean se tenaient encore à la fin du 12e siècle les réunions des échevins de la ville, et plusieurs bâtiments communautaires étaient situés aux alentours immédiats de l’édifice[262].

 

Enfin, à mi-chemin entre les limites orientales du fossé sur l’Escaut, se trouvait depuis le 13e siècle une résidence fortifiée, appelée le château de Gérard le Diable (Geraard de Duivelsteen). A l’époque de la construction de l’édifice actuel, en bordure de l’Escaut, le bâtiment se présentait sous la forme d’un imposant donjon. Il était propriété des vicomtes de Gand, mais sa situation stratégique laisse penser qu’il avait une autre fonction que celle de simple résidence: peut-être était-ce à l’origine un poste de contrôle fluvial, dont les origines remonteraient au portus carolingien[263].

 

A côté du portus, les deux abbayes Saint-Bavon et Saint-Pierre connaissent à l’époque carolingienne un essor lent, mais continu. Les deux implantations sont totalement indépendantes jusqu’au début du 9e siècle, avant qu’un abbé laïque unique ne prenne en charge les deux institutions.

 

L’histoire de Saint-Bavon, à l’époque carolingienne du moins, paraît moins tourmentée que celle de sa consœur. Elle se voit notamment dotée de nouvelles terres par Pépin le Bref (751-768) et la liste conservée des abbés qui la gouvernèrent témoigne d’une origine anglo-saxonne. Pour Saint-Pierre, c’est plus complexe. L’abbé Célestin, qui se trouvait au centre d’une lutte entre les maires de palais Ragenfride et Charles Martel, fut destitué par ce dernier et exilé. Les biens de Saint-Pierre auraient alors été dispersés et les moines chassés, jusqu’à l’arrivée à Gand d’Eginhard, qui restaura l’abbaye en 815. D’autres témoignages attestent eux que l’abbaye était toujours en place au milieu du 8e siècle, puisque plusieurs donations ou échanges impliquant l’abbaye datent de cette époque, et ce jusqu’au règne de Charlemagne[264].

 

Avec l’arrivée d’Eginhard -en 815 à Saint-Pierre et en 819 à Saint-Bavon- à la tête des deux abbayes, s’ouvre une période de grande prospérité. Le biographe de Charlemagne obtint en effet de l’empereur Louis le Pieux la confirmation du privilège de l’immunité pour chacune des deux abbayes. Saint-Pierre et Saint-Bavon devinrent, de facto, des abbayes royales. Eginhard réforma également en profondeur l’organisation interne du domaine abbatial. Quant aux moines, une réforme leur conféra désormais le titre de chanoines, situation qui perdurera jusqu’au 10e siècle[265]. Des deux abbayes, les textes font apparaître que Saint-Bavon était la plus prospère: au début du 9e siècle, cette dernière détenait environ 25 domaines ou villae; à la même époque, Saint-Pierre n’en possédait pas plus que 7[266].

 

La prospérité de Saint-Pierre et Saint-Bavon au 9e siècle, annoncée par les textes, est confirmée par l’archéologie. Sous l’actuelle abbatiale de Saint-Bavon, on a mis au jour un édifice à trois nefs, en pierre de Tournai, qui pourrait bien être attribué à l’abbatiat d’Eginhard[267]. A proximité du site, dans la Sint-Machariusstraat, on a par ailleurs trouvé un remarquable chapiteau d’inspiration ionique, typique des goûts de la cour carolingienne, et d’Eginhard en particulier. Cette pièce pourrait fort bien provenir de l’abbatiale carolingienne. De plusieurs mentions dans la Vita Bavonis, datant de la première moitié du 9e siècle, d’un castrum Gandavum, de nombreux auteurs ont déduit l’existence d’une fortification autour ou à proximité de l’abbaye Saint-Bavon. Le silence des sources diplomatiques et littéraires, la facilité avec laquelle l’abbaye fut incendiée par les Normands en 851 et détruite en 879, font cependant dire à Adriaan Verhulst qu’aucune fortification n’a jamais entouré Saint-Bavon[268]. Quant à Saint-Pierre, aucune fouille n’a jusqu’à présent été menée dans l’édifice actuel. La découverte à l’est de l’abbaye de fours de transformation de la pierre de Tournai en chaux, témoigne cependant d’une intense activité de construction à l’époque[269].

 

A la mort d’Eginhard, en 840, l’union des deux abbayes sous la même direction laïque prit provisoirement fin. Cet abbatiat fut renouvelé plus tard sous les premiers comtes de Flandre[270]. Entre-temps, Gand eut à souffrir d’un mal violent: les Normands.

 

2.5.3 Des incursions normandes au 11e siècle

 

Gand et ses abbayes, plus que toute autre ville située sur l’Escaut, eut à souffrir des destructions normandes. Les Vikings ont attaqué le site à deux reprises. En 851, ils s’en prennent à l’abbaye Saint-Bavon, et la pillent[271]. Les chanoines s’enfuirent et se réfugièrent à Laon, ville d’origine de leur abbé. Il semble néanmoins que le monastère put se rétablir rapidement[272]. En novembre 879, par contre, les Normands venant d’Angleterre prirent possession du lieu et y installèrent leur campement d’hiver[273]. Les chanoines de Saint-Bavon fuirent de nouveau à Laon. L’agglomération et à l’abbaye Saint-Pierre, malgré l’absence de sources écrites les concernant, ont pu de même difficilement échapper aux appétits normands[274]. Des fouilles sur le site de l’abbaye Saint-Pierre ont permis d’identifier une couche noirâtre, comprenant des traces visibles d’incendie, et dont le matériel archéologique le plus récent daterait de la fin du 9e siècle. Les Normands restèrent à Gand jusqu’en novembre 880, et utilisèrent la ville comme base militaire de leurs expéditions dans la vallée de l’Escaut[275]. Les chanoines de Saint-Pierre étaient de retour à Gand avant la fin du siècle. Quant à ceux de Saint-Bavon, leur exil se prolongea jusqu’en 937 au plus tard. Ce décalage fit que, pendant une trentaine d’années au moins, l’abbaye Saint-Pierre était le seul monastère gantois: cela eut de lourdes implications sur le développement ultérieur des deux institutions. En 918 en effet, Baudouin II y choisit son lieu de sépulture: Saint-Pierre devenait de la sorte le Saint-Denis des comtes de Flandre. Jusqu’au milieu du 11e siècle, l’abbaye du mont Blandin s’attira toutes les faveurs des comtes, et en profita pour surpasser en propriétés, privilèges et reliques son grand rival: Saint-Bavon. Les religieux de cette dernière, à leur retour de Laon, trouvèrent leur abbaye dévastée et s’installèrent avec les reliques de Bavon dans la chapelle castrale récemment construite, sur la rive gauche de la Lys. La restauration matérielle de l’abbaye eut lieu en 946, soit 5 ans après sa consoeur du mont Blandin. La seconde moitié du 10e siècle est marquée par le long conflit entre les deux institutions, Saint-Pierre et le comte de Flandre ayant usurpé un grand nombre des biens que possédaient Saint-Bavon avant 880[276]. Pour recouvrer un patrimoine suffisant, cette dernière fut alors contrainte d’acquérir de nouvelles reliques, afin de s’attirer les donations des fidèles. Les chanoines de Saint-Bavon, devenus entre-temps moines, n’hésitèrent pas à créer de toute pièce des saints, comme Liévin[277].

 

Si la fin du 9e siècle fut difficile pour les habitants de Gand et de ses deux abbayes, l’archéologie révèle que le site connut, avant le milieu du 10e siècle, un essor démographique important. L’agglomération, jusqu’alors essentiellement confinée à l’intérieur de son enceinte du 9e siècle, s’étend désormais vers le nord et l’est, faisant la jonction avec la rive orientale de la Lys, et s’étendant même au-delà de la rivière. Le fossé est comblé et le portus, désormais, comprend tout le territoire situé entre Lys et Escaut[278].

 

Au cours du 10e siècle, un nouvel élément témoigne de la vitalité et de l’importance stratégique du lieu: les comtes de Flandre viennent s’installer sur la rive gauche de la Lys, à l’emplacement actuel du château des comtes, le Gravensteen. Adriaan Verhulst a pu retracer la chronologie de cette implantation. Durant la première moitié du 10e siècle, les comtes de Flandre, percevant sans doute la nécessité de contrôler une agglomération en pleine expansion, construisent sur un terrain entouré d’eau -appelé plus tard l’Oudburg- un donjon fortifié et une petite église castrale, qu’ils dédient à sainte Pharaïlde et saint Bavon. Le terrain est de forme rectangulaire et cerné par la Lys, la Liève -un bras canalisé de la rivière-, le Leerthouwers ou Plotersgracht et le Schipgracht[279]. Le château actuel, au sud-ouest de l’îlot, date de la fin du 12e siècle; à l’intérieur, les archéologues ont néanmoins découvert qu’il existait, depuis le seconde moitié du 10e siècle, un bâtiment rectangulaire de bois de 9 m de longueur, que l’on peut rattacher sans trop de difficulté au novum castellum mentionné par les Miracula Bavonis, datant eux du milieu du 10e siècle[280]. Les comtes choisissent comme emplacement un endroit déjà habité à l’époque romaine et abritant au 10e siècle une population d’artisans [281]. Ce choix, sur la rive gauche de la Lys, est intéressant à plus d’un titre. On se rappellera en effet que le portus carolingien, pour des raisons commerciales, était axé exclusivement sur l’Escaut. Un siècle plus tard, les comtes de Flandre prennent leur distance par rapport au centre carolingien et s’implantent à 500 m des fossés du portus, et prennent le contrôle du trafic sur le Lys. Cela matérialise-t-il un changement d’orientation commerciale? Selon Adriaan Verhulst, l’Escaut est toujours, avant l’an mil, la principale voie de communication et de commerce et le portus carolingien, sur la rive gauche du fleuve, est alors toujours en activité: le choix comtal n’avait donc pas de visée commerciale particulière[282]. Quelles que soient les raisons profondes de cette implantation comtale, sur la rive droite de la Lys, celle-ci eut des conséquences profondes sur le développement de la ville. La rapidité avec laquelle le territoire compris entre Lys et Escaut, voire outre Lys -le quartier d’Overleie- a été peuplé, semble montrer que le château comtal a été un incitant important dans cet essor démographique[283].

 

Avec le développement de Gand vers l’ouest, le centre d’activité économique de la ville migre parallèlement. Cité à plusieurs reprises dans des chartes datant de 941[284], 964[285] et 966[286], le portus comprend deux façades commerciales: l’Escaut, et la Lys. Un autre élément témoigne de ce glissement géographique: en face de la fortification comtale, sur la rive droite de la Lys, a lieu désormais un marché aux poissons (Vismarkt, aujourd’hui Groetenmarkt). Cette place de commerce dessert donc à la fois le château, mais également le quartier neuf qui l’environne[287]. Ce sera désormais le centre économique de la ville, là où, se sentant à l’abri au pied de la forteresse des comtes de Flandre, viendront s’installer plus tard les demeures et entrepôts des riches marchands de Gand.

 

Quel était le statut juridique du portusdes 10e et 11e siècles? Les mentions du lieu laissent penser que l’agglomération formait déjà à l’époque un ensemble cohérent, avec un statut juridique, religieux et des règlement propres. Ce territoire -soit la langue de terre située entre Lys et Escaut, ainsi que le quartier d’Overleie- se distinguait dès lors des possessions du comte et des deux abbayes, omniprésents autour du site. En toute hypothèse, c’était le comte de Flandre, en outre abbé laïque des deux abbayes, qui contrôlait et organisait la ville, depuis la première moitié du 10e siècle. Le comte Arnoul Ier, lors de la restauration de l’abbaye Saint-Pierre entre 941 et 953, lui accorda trois revenus propres, qui témoignent bien d’un statut particulier du portus: le droit d’y lever un cens foncier, de percevoir un péage -sur l’Escaut probablement-, et enfin d’y prélever la dîme ecclésiastique[288]. Rédigées au milieu du 10e siècle, les Miracula Bavonis mentionnent un comes Gandavi: il s’agirait du représentant du comte de Flandre dans la ville, le précurseur du vicomte de Gand. Très tôt, donc, les comtes de Flandre ont délégué leur pouvoir à une autorité locale, contrôlant de manière permanente une agglomération déjà en pleine effervescence[289].

 

Dès le début du 11e siècle, Gand est en pleine expansion économique. Le portus Gandensi, comme le nomment les sources de l’époque[290], accueille tous les ans à la Saint-Bavon (le 1er octobre), au moins depuis 1013, une grande foire[291]. Des marchands tournaisiens y commercent la laine[292]; preuve que, dès le 11e siècle, Gand vivait déjà en partie du textile. Cette activité allait faire la fortune de la ville.

 

Le nouveau portus, sis entre Lys et Escaut, ne put bientôt plus abriter toute la population de Gand. A la fin du 11e siècle, un nouveau fossé fut creusé: le Ketelvest au sud, entre Lys et Escaut, et le Oude Houtlei à l’ouest, courant parallèlement à la Lys, et rejoignant la rivière à hauteur de la fortification comtale. Cet essor démographique nécessita également une réorganisation des paroisses: de la paroisse-mère Saint-Jean, on tira en 1093 Saint-Jacques au nord, peu après Saint-Nicolas à l’ouest, et avant 1095 Saint-Michel dans le quartier d’Overleie[293].

 

 

2.6 Anvers

 

Etudier le cas d’Anvers dans le cadre de ce mémoire peut, au même titre que Ename, paraître hors propos. Pourtant, bien que les textes ne citent jamais Anvers au nombre des portus de la vallée de l’Escaut à l’époque carolingienne, le site a pu -par sa position géographique privilégiée- déjà alors jouer un rôle essentiel. Il nous a dès lors semblé opportun de l’inclure dans l’analyse. Par ailleurs, l'étude du cas d'Anvers est riche d'enseignements pour quiconque s'intéresse à l'histoire urbaine, et plus particulièrement au problème de la continuité pouvant ou non exister entre les origines d'une implantation humaine et le développement tardo-médiéval des villes.

 

Depuis une vingtaine d’années, les recherches sur l’histoire ancienne de la ville se sont multipliées[294]. Le peu de sources écrites dont on dispose pour l’antiquité et le haut Moyen Age a été compensé par des découvertes archéologiques récentes, qui complétaient utilement les informations matérielles déjà récoltées par A. Van De Walle de 1952 à 1961.

 

La situation remarquable d’Anvers est sans doute pour beaucoup dans le développement de la ville: implanté sur la rive droite de l’Escaut, Anvers contrôle l’embouchure du fleuve et tout le trafic orienté vers la mer du Nord.

 

2.6.1 Anvers à l’époque romaine

 

Les découvertes archéologiques les plus récentes, réalisées dans le périmètre compris entre l’actuelle cathédrale et le steen, ont permis d’établir que le site était habité entre ca 150 et 250/270 après J.-C. Ces trouvailles consistent essentiellement en des fragments de tuiles, de la sigillée et six puits à âme de bois[295]. L'absence de bâtiments en dur et la nature générale des découvertes montrent l'existence d'une communauté à vocation agricole, établie en bordure de l'Escaut, et qui ne survivra pas aux raids du 3e siècle[296].

 

2.6.2 Anvers à l’époque mérovingienne

 

Entre la fin du 3e siècle et le début du 7e siècle, l’archéologie et les textes font complètement défaut.

 

L’étymologie pourrait venir en aide aux archéologues. Les plus récentes théories, relayées notamment par Tony Oost, attribuent à Anvers une origine latine, soit An-duae-ripae ou Ambae-duae-ripae, les deux étymologies renvoyant à un habitat romain -sans doute un camp militaire- situé de part et d’autre de l’Escaut[297]. Les romains s’y seraient donc installés dans le but de contrôler l’embouchure du fleuve.

 

Cette étymologie ne fait cependant pas l'unanimité. Le terme Anderpus n’apparaît que tardivement, sur une monnaie mérovingienne du 7e ou 8e siècle, et sous la forme Andoverpis dans la Vita Eligii rédigée peu après 700[298]. Certains historiens y décèlent une origine germanique, se composant du préfixe anda -contre- et du substantif dérivé du verbe werpen -jeter-[299]. Sur cette base, Gysseling avait proposé la traduction de Antwerpen en les «terres alluviales des rives gauche ou droite». Le problème est qu’on ne trouve aucune terre de cette nature de part à d’autre du fleuve à cet endroit. Van Loon voit dans le recours au préfixe anda le signe, non pas d’un phénomène physique, mais plutôt la trace d’une action ou d’une activité humaine et traduit donc le tout par le «pays qui, par la main de l’homme est dressé contre quelque chose ou quelqu’un»[300]. Quelle est cette chose ou cette personne vis-à-vis de laquelle les habitants de l’Andawerp souhaitent se prémunir? S’agit-il d’un ouvrage de protection contre les eaux, soit une sorte de digue ? Van Loon a émis l’hypothèse séduisante que le terme ferait plutôt référence à une fortification de terre, levée contre les attaques d’ennemis éventuels. C’est là que l’étymologie pourrait rejoindre la réalité historique, elle bien établie: lorsqu’apparaît le mot Andawerp, au plus tard à la fin du 7e siècle, l’expansion frisonne a atteint son point culminant. La forteresse d’Anvers, aurait dès lors été érigée pour faire face à cette menace[301].

 

En l'absence de consensus, on est bien en peine d'affirmer l'origine exacte d'Anvers. Les sources écrites laissent cependant penser que le site était déjà assez bien peuplé au début du 7e siècle. Entre 640 et 650 environ, deux missionnaires -saint Eloi et saint Amand- tentèrent de christianiser la région. On sait que saint Amand entreprit son œuvre d'évangélisation d'une île appelée Chanelaus. Certains ont vu dans ce toponyme Kallo situé sur la rive gauche du fleuve; Tony Oost a proposé le Kiel, au sud de la ville[302].

 

Un atelier de frappe de monnaie a peut-être existé à l'époque mérovingienne. Un triens en or fut découvert au 19e siècle à Anvers sous l'actuelle église Saint-Georges, et aurait été frappé par un certain Theudegisilus à Metz à la fin du 6e siècle. Certains doutent néanmoins du lieu de découverte et de la filiation avec la ville scaldienne. Enfin, une monnaie en or trouvée à Bath en Angleterre porte l'inscription Anderpus et le nom d'un monnayeur: Chrodegisilus. La date qui est en donnée est 630-650[303].

 

2.6.3 Anvers à l'époque carolingienne

 

Les informations relatives à Anvers à l'époque carolingienne sont particulièrement rares et difficiles d'interprétation.

 

En 726, Willibrord, un troisième missionnaire qui poursuivait le travail d'Eloi et d'Amand, se voit attribuer une charte de donation par les époux Rauchingus et Bebelina[304]. Le texte mentionne l'existence infra castrum Antwerpis d'une église dédiée à Saint-Pierre-et-Paul -dont la construction est attribuée à saint Amand-, ainsi que d'un tonlieu, probablement perçu sur les marchandises circulant sur le fleuve. On ne connaît toujours pas l'emplacement de ce site fortifié, si ce n'est qu'il était accolé à l'Escaut. En l'absence de traces archéologiques de cette époque dans le futur noyau médiéval de la ville, les archéologues s'accordent simplement pour dire que ce castrum se trouvait en dehors de l'Anvers du bas Moyen Age. Mais où précisément? Verhulst le situe à proximité immédiate de l'abbaye Saint-Michel, à 1 km au sud de la ville, car cette dernière est l'église mère d'Anvers, dont aussi bien Sainte-Walburgis dans les murs que Notre-Dame hors les murs sont issues. Van Loon voit lui le castrum un peu plus au nord, au Kiel[305]. Quoi qu'il en soit, c'est vraisemblablement ce site fortifié que les Normands ont détruit en 836, lors d'un raid isolé[306] . On notera avec intérêt que dans les sources relatant l'événement, Anvers est dénommé indifféremment civitas (Eginhard), urbs (Hériman d'Augia) ou encore oppidum (Sigebert de Gembloux), et en 844 l'agglomération est citée, au même titre que Louvain, Gand ou Bruxelles, au titre de noble cité de la Lotharingie[307]. De tout ceci, on retiendra qu'il existe bel et bien une petite agglomération en bordure de l'Escaut et qui a su se relever de l'attaque normande de 836.

 

Par la suite et jusqu'à la fin du 10e siècle, les sources ne mentionnent plus jamais l'existence du castrum. Anvers est appelée à la fin du 9e siècle, dans le Liber traditionum de l'abbaye Saint-Pierre de Gand, vicus; cela fait penser à une place commerciale ouverte, à un port d'escale, et non plus à un ensemble fortifié clos[308]. Les sources archéologiques n'ont néanmoins pas pu localiser ce portus éventuel, si portus il y a eu.

 

Il ne fait aucun doute que les Normands ont eu une influence énorme sur le développement d'Anvers à cette époque. Dans un premier temps, située à l'embouchure de l'Escaut, la ville est aux premières lignes face aux raids vikings. A Ekeren, en 1862, on découvrit notamment un trésor monétaire, enfoui au milieu du 9e siècle, et qu'on peut mettre en rapport avec les raids normands. Dans un second temps, après la destruction de l'ancien castrum mérovingien, il est probable que les Normands ont été à l'origine du second souffle d'Anvers. Après la prise de la ville, les Vikings se seraient rendus maîtres de la région et auraient tenté de réorganiser Anvers. La ville leur serait alors redevable de la mise en place du vicus au nord du castrum détruit. Certains auteurs -à la suite de A.L.J. Van de Walle- ont même imputé aux Normands la mise en défense de l'agglomération[309]. En effet, lors des fouilles à l'intérieur du Burcht dans les années '50, les archéologues ont mis au jour un rempart de terre, dont le tracé semi-circulaire est grosso modo suivi par la fortification d'Otton II[310]. Cette configuration, typique du 9e siècle, correspond à ce qu'on retrouve à Gand à la même époque, et dans tout le monde scandinave (Haitabu, Birka, Hambourg). Cette influence viking à Anvers est également marquée par certains toponymes à consonance nordique indubitable, tels Holma (cf. Stockholm) pour le ruisseau de Laar au nord de la ville et Olmeremuthen[311].

 

2.6.4 Anvers de la fin du 9e au 11e siècles

 

Les Normands, donc, auraient été à l'origine du déplacement géographique d'Anvers et de son essor économique vers le milieu du 9e siècle. Cependant, la majorité des historiens et des archéologues s'accordent aujourd'hui pour dire que le nouveau vicus mit en place n'était pas fortifié: un castrum n'est attesté qu'en 980[312], à une époque où le site a probablement déjà été mis en défense par les empereurs ottoniens. Ces aménagements tardifs ne prouvent donc en rien que le vicus carolingien était fortifié. Quant à la céramique découverte dans les contextes les plus anciens de la fortification, et qui avait été datés par A.L.J. Van de Walle au milieu du 9e siècle, elle ne serait en réalité pas antérieure au 10e siècle. Exit donc l'hypothèse d'une enceinte viking.

 

L'agglomération carolingienne, tout comme le castrum de l'époque précédente, n'est cependant pas certifiée archéologiquement[313]. Van de Walle a découvert aux alentours du steen, entre 1952 et 1961, une rue entière bordée de maisons de bois. Ces maisons caractéristiques, non mitoyennes, étaient de forme rectangulaire et avaient leur petit côté tourné vers la rue[314]. Van de Walle les datait alors de la fin du 9e siècle; pour l'archéologue Tony Oost, il faudrait avancer cette datation d'au moins deux siècles[315].

 

 Tout le problème est là: les habitations découvertes par Van de Walle font-elles partie du vicus mentionné par les sources au début du 10e siècle, ou matérialisent-elles au contraire un état tardif, contemporain de la fortification du site par l'empereur Otton II à la fin de ce même siècle? Selon T. Oost[316] et D. Callebaut[317], la deuxième hypothèse est la plus vraisemblable.

 

L'action de l'empereur germanique s'inscrit dans une politique générale de défense des frontières de son empire face au comte de Flandre. Tout comme Ename fortifiée quelques années auparavant, Anvers se voit élevée au rang de centre de marche militaire avant 980, date à laquelle l'existence du castrum ottonien est attestée dans les textes. Le castrum renferme alors une superficie d'environ 2,80 ha, et l'habitation y est organisée de part et d'autre de deux axes se croisant perpendiculairement. Les parallélismes avec ce qu'on rencontre à Ename à la même époque sont frappants. De part et d'autre, les fortifications sont constituées d'un rempart de terre, peut-être surélevé d'une palissade. Sur les côtés non-fortifiés, on se trouve face à l'eau. Le château est construit, à Ename comme à Anvers, en bordure du fossé et près de l'Escaut. Au cœur du castrum enfin, une chapelle est élevée: Notre-Dame à Ename, Sainte-Walburgis à Anvers. La différence majeure entre les deux sites, outre la superficie un peu moindre à Ename -environ 1,50 ha- et la chronologie plus difficile à établir à Anvers, est que l'intra muros d'Anvers n'est pas exclusivement habité par le comte et sa garnison, et qu'on n'y a pas retrouvé comme à Ename d'aula ni de camera[318].

 

En 1008, Anvers est mentionné comme centre de la marche impériale du même nom[319]. Au cours du 11e siècle, avec la croissance démographique de l'agglomération, la ville s'étend vers le sud, jusqu'au ruisseau Saint-Jean. Par la suite, c'est le nord de la ville qui se voit également inclure dans le système défensif, puis l'est de celle-ci, avec la création de la nouvelle paroisse de Notre-Dame, qui sera érigée bien plus tard en cathédrale[320]. Surtout, l'agglomération est désormais dénommée portus, en 1031[321]. Il faut y voir la preuve que la fonction commerciale d'Anvers prend alors le dessus sur sa dimension militaire, et que la ville est désormais résolument tournée vers les échanges le long du fleuve, suivant en cela le mouvement de ses consoeurs de la vallée de l'Escaut. Cet essor économique n'allait plus être interrompu jusqu'au 16e siècle.

 

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[28] En 1961, Martin Biddle entamait la fouille de Winchester, qu'il poursuivit durant 11 années. Ce travail allait révolutionner l'archéologie et faire école. Durant les années '80, un nouveau centre de préoccupation tint les archéologues britanniques en haleine: l'étude des "wics" pré-vikings, situés le long des côtes de la mer du Nord, jusqu'en Scandinavie. Richard Hodges fait figure de pionnier dans ce domaine, et œuvra pour le développement de cette "New archaelogy" en Grande-Bretagne (Hodges 1989). Au sujet de l'histoire de l'archéologie urbaine outre-manche, voir la contribution de D. Hill, 150 Years of the Study of Wics: 1841-1991, dans Hill et Cowie 2001, p. 3-6.

[29] Voir à ce sujet R. Sevrin, Esquisse géographique du bassin transfrontalier de l'Escaut, dans Annales de géographie, n° 529 (1986), p. 315-340.

[30] Au 17e siècle, la source de l'Escaut se situait environ 4 kilomètres en amont de son emplacement actuel, près de la commune de Beaurevoir. Sévrin 1990, p. 17.

[31] Ibidem, p. 16-17.

[32] Verslype 2001, vol. 1, p. 42.

[33] Ibidem, p. 42-43.

[34] On signale la découverte dans l’Escaut de six figures de proue du haut Moyen Age, à Appels, Mariakerke (2), à Zele, à l'embouchure de la Durme (2) et enfin à Wetteren (Verslype 2001,vol. 1, p. 42, note 163; Van doorselaer et Opsteyn 1999; Van Strydonck et de Mulder 2000, p. 113-115). Des parties mieux conservées d'embarcations ont été exhumées à Pommeroeul sur la Haine, à Ramegnies-Chin au nord de Tournai ainsi qu'au nord d'Anvers et dans le polder d'Oosterweel. A Pommeroeul, on mit au jour une installation portuaire et deux embarcations, dont un chaland à fond plat, d’environ 18 m de long, 3 m de large et 0,67 m de haut, et réalisées selon le procédé de construction monoxyle assemblée. A Ramegnies-Chin,une pirogue monoxyle en chêne, de 5 m de long, 40 cm de large et 27 cm de haut, fut mise au jour en 1986 à proximité de l'Escaut. Cette pirogue, exclusivement mue par rames, daterait de l'époque gallo-romaine (De Boe et Bernard 1986). Les découvertes au nord d'Anvers et dans le polder d'Oosterweel consistent en un large chaland à fond plat et une pirogue creusée d'un seul bloc dans un tronc d'arbre. La datation est cependant ici sensiblement plus récente; probablement le 11e siècle pour les pirogues d'Oosterweel et le13e siècle pour celles d'Anvers (Hasse 1905; Van Strydonck et de Mulder 2000, p. 115).

[35] Van Uytfangue a rassemblé les textes susceptibles d’éclairer le cours ancien de l’Escaut(Van Uytfangue 1981); les rares témoignages conservés ne permettent malheureusement pas d’étude précise en la matière.

[36] Sivery 1980.

[37] On se gardera néanmoins d'exagérer l'importance qu'à pu avoir le fleuve dans la dynamique économique de la période. Au 13e siècle, au temps fort de l'essor urbain, le transport par voies terrestres reste aussi important que celui empruntant les cours d'eau, notamment en raison du poids des tonlieux perçus dans chacun des ports de l'Escaut. Bien que beaucoup plus récente par rapport à la période qui nous occupe, cette situation doit inciter à la prudence (Ibidem, p. 809-813).

[38] Ibidem, p. 34. Le passage en question est extrait de la Vita Gaugerici, qui relate des évènements de la fin du 6e siècle ou du début du siècle suivant.

[39] Ibidem, p. 29-30 et 58-62.

[40] Concernant la Meuse, voirSuttor 1986; concernant les mondes anglo-saxons et scandinaves, consulter notammentHodges 1989, p. 94-100 (Early medieval shipping).

[41] Ibidem, p. 94-97.

[42] Sivéry 1980, p. 829-831.

[43] Albums de Croÿ 1990, p. 129, planche 14 ou p. 295, planche 80.

[44] Boussemart 1999, fig. 99 et 100, p. 80-81.

[45] Vande Walle 1945, p. 230. L’archéologue tire à l’époque ces informations du service des Ponts et Chaussées de Gand.

[46] Ibidem, p. 151, planche 23. Le halage est attesté sur la Scarpe et l'Escaut au moins à partir du 13e siècle, date à laquelle les différents professionnels de la navigation s'organisent en confréries (Plouchard 1997, p. 847-848).

[47] Cité dans Lebecq 1983, p. 26.

[48] Musset 2002, p. 190-191. La tapisserie représente des marins qui halent les navires vers la mer.

[49] Bien sûr, il est question ici de la situation antérieure à la fin du 18e siècle, période durant laquelle on canalisa l'Escaut entre Valenciennes et Cambrai. En amont de cette ville, on creusa un canal pour relier la vallée au bassin parisien. Albums de Croÿ 1990, p. 21 et 28.

[50] H. D'Oultreman, Histoire de la ville et comté de Valenciennes, Douay, 1639 (Cité dans Platelle 1976).

[51] Albums de Croÿ 1990, p. 129, planche 14.

[52] Sivéry 1980, p. 811.

[53] Platelle 1982, p. 19-20.

[54] Thomas et Nazet 1995, p. 102.

[55] Verslype, Hennebert et Tilmant 2002, p. 8-10.

[56] Sivéry 1980, p. 817.

[57] Doehaerd 1941.

[58] La planche 74 du volume consacré à la Scarpe et à l'Escaut contient le titre suivant: Ladit riviere d(e) Scarpe entre en la ville de Douaÿ par trois entrée soÿ partissant en huict au dedens de ladit ville lesquelz font travailler XV moulins à bledz, ung a braÿ et ung a lhuile, dont après se viennent rejoindre ensamble environ de millieu de la ville, et se commenche destre navigable de plusieurs grands batiaulx. (Albums de Croÿ 1990, p. 277, planche 74). Cette limite est confirmée par Delmaire 1990, p. 62-63.

[59] Sivéry 1980, p. 812 et 829; Plouchard 1997, p. 844-849.

[60] Gesta Episcoporum Cameracensium, p. 460.

[61] Passages relatés dans Van Uytfangue 1981, p. 29.

[62] Plouchard 1997, p. 841.

[63] Haquette 1997.

[64] Sivéry 1980, p. 797.

[65] Vanderputten 2001, p. 75.

[66] D'Haenens 1967, p. 43-61.

[67] Ibidem, p. 151-170.

[68] Vanderputten 2001, p. 77.

[69] Van Strydonck et de Mulder 2000, p. 92-97.

[70] Vanderputten 2001, p. 78.

[71] Verhulst 1999, p. 101-102.

[72] Verhulst 1989B, p. 13-16.

[73] Lebecq 1983, note 30.

[74] Ibidem, p. 52-68.

[75] C'est le titre de l'article qui a servi de fil conducteur à cette synthèse historique (Platelle 1990). On n'oubliera pas cependant la contribution du même auteur et d'autres dans une étude plus ancienne, mais néanmoins plus complète (Platelle 1982 et surtout Platelle 1976). On consultera enfin l'article deDeisser-Nagels 1962.

[76] Voir à ce sujet Beaussart 1987, p. 48-72.

[77] Platelle 1982, p. 14-15

[78] Le site de Famars ne disparaît cependant pas de la carte avec la chute de l’Empire romain. Une occupation mérovingienne y est attestée, et on y frappe monnaie jusqu’au 7e siècle. Le déclin semble donc progressif. Deisser-Nagels 1962, p. 59-62.

[79] Ibidem, p. 18; Beaussart 1987, p. 95-99.

[80] Ibidem, p. 98. On prendra garde de ne pas confondre l’actuelle église Saint-Géry avec l’ancien sanctuaire d’origine mérovingienne. La première est l’ancienne église des Recollets (frères Mineurs), bâtie sur l’emplacement du donjon carolingien; l’église mérovingienne ou pré-carolingienne de Saint-Géry est, elle, située au nord-est de la ville actuelle, à l’emplacement du jardin Froissart, et disparut à la Révolution française.

[81] Platelle 1990, p. 159-160; Deisser-Nagels 1962, p. 57-58.

[82] Concernant la Vita S. Salvii, consulter Platelle 1982, Annexe 1, p. 312; Deisser-Nagels 1962, p. 66-67.

[83] Ibidem, p. 162-163.

[84] Platelle 1990, p. 163.

[85] Textes transcrits en annexe.

[86] Georgius presbiter et rector monasterii Sancti Salvii martyris, quod in pago Fanomartense, in vico Valentianas appelato in ripa Scaldis fluvii, situm est…(Eginhard Translatio et miracula sanctorum Marcellini et Petri, p. 258); commentaire par Deisser-Nagels 1962, p. 75-76.

[87] Cognoscere dignetur piissima domina nostra [l'impératrice Judith], quod ego servus vester, postquam de Aquis exivi, tantis corporis incommodis affectus sum, ut de Traiecto vix decimo die pervenire possem ad Valentianas… Quapropter supplico pietati vestre, ut mihi liceat cum gratia vestra navigando ire ad Sanctum (Bavonem Gandensem)… (Eginhard, Epistolae, p. 116-117, n° 13); commentaire dans Platelle 1982, p. 19.

[88] Deisser-Nagels 1962, p. 73.

[89] In portu Valentianas; In territorio Cameracensi, oppido Valentianis; In portu Valenciano; in portu Valencianas. Acta Sanctorum, Juin, éd. Palme, t. 6, Paris-Rome, 1866, p. 327; Usuard Martyrologium, p. 313.

[90] … in pago nuncupante Fanomartinse, super fluvium qui vocatur Scaltus, mansum unum ex fisco nostro Valentianas quem Valentinus nomine fiscalinus ad deserviendum possidet, ispumque cum uxore sua et infantibus illorum… tradimus atque transfundimus… Teloneum insuper ex jam dicto manso cum rivatico suo, concedimus…(Diplomata karolinorum 1966, n°13, p. 402-404); commentaire dans Deisser-Nagels 1962, p. 67-69.

[91] Pour le catalogue des monnaies, voir le chapitre suivant. On se gardera cependant de déduire de la seule présence d’un atelier monétaire un témoignage d’activité économique. M. Despy, suivant les recherches de J. Vannérus, a démontré qu’aux époques mérovingiennes et carolingiennes, on a battu monnaie à la campagne. Colloque Crédit Communal 1988, Etudes de cas, discussions, p. 288.

[92] M. Prou, Catalogue des monnaies françaises de la Bibliothèque Nationale. Les monnaies carolingiennes, Paris, 1896, n° 208-211, p. 33; et surtout l’étude plus récente et plus fouillée de G. Depeyrot (Depeyrot 1993, n° 1106 (1047), p. 251. La période 864-765 est marquée par une explosion du nombre d’ateliers en France du Nord. G. Depeyrot y voit une conséquence logique des ponctions opérées par les Vikings et des opérations de fortification et de construction consécutives à leurs incursions, dans de nombreuses villes et villages (p. 23).

[93] Chanoine H. Lancelin, Histoire de Valenciennes, Valenciennes, 1933. Cité dans Platelle 1976, p. 28.

[94] Paris, Bibliothèque Nationale, ms français 8526. Plan de Valenciennes en 1693. Reproduction dans Platelle 1982, p. 33.

[95] D'Haenens 1967, p. 46-47.

[96] Concernant l’abbaye de Saint-Saulve, originellement dédiée à Saint-Martin et peut-être déplacée suite aux destructions normandes de 879-881, consulter Deisser-Nagels 1962, p. 85-87.

[97] Cet acte est peut-être un faux. Il n'empêche, quel qu'en soit l'auteur et la date de rédaction, la mention de destructions à Valenciennes n'a pu être inventée de toutes pièces. Mansum unum indominicatum, sed ex tringinta retro annis a Normannis penitus destructum et inhabitabilem… et cum locis duobus ad duas ecclesias quae quondam ibi reaedificandas, unam in honore S. Fareldis et alteram in honore S. Salvi…(Actes de Robert Ier et de Raoul, n°48, p. 187-199). H. Platelle (Platelle 1982, p. 21) se fait le relais des réserves émises par J. Dufour au sujet de cet acte. On doit à Jan Dhondt la redécouverte de l’acte en 1942 (D'Hondt 1942).

[98] Verhulst 1999, p. 57 et 102.

[99] In castro Valentianensi monasterium est canonicorum, quod Arnulfus comes consilio et auctoritate Rothardi episcopi in honore sancti Johannis Baptistae construxit, rebusque pro opportinitate collatis, duodecim canonicos deputavit. (Gesta Episcoporum Cameracensium, p. 451-452). Voir à ce sujet Helvetius 1992, passim.

[100] Il est alors question que la comtesse Jeanne cède aux frères mineurs sa vieille forteresse en ruine pour que ceux-ci puissent y bâtir leur couvent. Les architectes, consultés, ne manquèrent cependant pas de signaler que Terra totius dicti loci dongionis erat mobilis et non fixa et alias ibidem artificialiter deportata pro majori parte; quare aedificia magna in eodem aedificari non poterant, nisi cum magni sumptibus et periculis et cum perpetus pronitate ad ruinas. Ce récit de l'installation des frères mineurs à Valenciennes a été inséré par Jacques de Guise, un frère mineur, dans ses Annales Hainoniae, livre XXI. Le passage en question se trouve aux pages 295-296. Transcription en annexes.

[101] Bur 1999, p. 24 et 30-38.

[102] Platelle 1976, p. 24.

[103] Ibidem, p. 26-27.

[104] Platelle 1982, p. 25.

[105] Gesta Episcoporum Cameracensium, p. 462.

[106] Platelle 1976, p. 24.

[107] …nec Haimericus ille Valentinianensis cecus rationalibiliter est pretereundus qui, Valentianarum stratas et domus, necnon et portum navium, quem semper desiderat nauta fatigatus… Traduction du passage de Rainier (Miracula S. Ghislani, p. 375-376) d’après Platelle 1982, p. 25.

[108] Edition partielle de la charte de la Kariteit dans Platelle 1982, annexe 2, p. 312-313. La Karitet était une association marchande, à caractère fortement religieux, garantissant l'union et la solidarité de ses membres à l'intérieur comme à l'extérieur de Valenciennes.

[109] Platelle 1976, p. 26.

[110] Ibidem, p. 28-29. Edition du texte de la Paix de Valenciennes dans Ph. Godding et J. Pycke, La paix de Valenciennes de 1114. Commentaire et édition critique, Louvain-la-Neuve, 1981. Edition reprise partiellement dans Platelle 1982, annexe 3, p. 313-314.

[111] La bibliographie relative au passé romain de Tournai abonde. Parmi les textes de synthèse les plus importants, et que nous avons compulsés, citons, dans l'ordre chronologique: Vercauteren 1934; Amand 1990, et les nombreuses publications du professeur R. Brulet (voir bibliograhie).

Pour les périodes suivantes, soit les époques mérovingienne et carolingienne, deux synthèses récentes ont retenu toute notre attention: celle du professeur J. Pycke (Pycke 1990) pour la perspective historique et celle de Laurent Verslype (Verslype 1999) pour l’apport archéologique. Cette dernière publication fournit en outre la quasi totalité de la bibliographie relative aux différentes campagnes de fouilles menées à Tournai depuis soixante ans, qu’il s’agisse de travaux publiés ou de rapports de fouilles inédits.

Enfin, le professeur R. Brulet a émis des pistes de réflexion pour les futures recherches archéologiques à Tournai (Brulet 1990A).

[112] Voir Hennebert M. et Verslype L.., Géologie et archéologie. Genèse du paysage urbain tournaisien, dans Hydrosystèmes, paysages et territoires. Colloque du laboratoire de géographie des milieux anthropisés, Lille, 2001.

[113] Voir à ce sujet l'article de Amand 1990 qui, en plus de dresser l'inventaire des découvertes réalisées depuis la seconde guerre mondiale jusque dans les années '80, établit un historique de l'avancement de la recherche en ce domaine.

[114] Cette superficie est le dernier chiffre avancé par Brulet 1997, p. 405.

[115] Théodore serait le premier évêque tournaisien avéré. Il est suivi par le plus emblématique Eleuthère, mort vers 531. La question de l’origine de cet épiscopat a été débattue dans Pycke 1990, p. 212-216. Charles Mériaux, dans une thèse inédite, a mis récemment à plat toutes ces données (communication personnelle de L. Verslype).

[116] L'existence d'un comte mérovingien à Tournai -cette hypothèse se fonde sur la Vita S. Medardi, qui prédit qu'Eleuthère serait comte avant d'être évêque- n'est pas assurée (Van Uytfanghe 1981, p.43).

[117] Le passé royal de Tournai est rappelé dans la Vita S. Eligii, rédigée vers le milieu du 8e siècle: …Tornacensi vero, quae quondam regalis extitit civitas… (Van Uytfanghe 1981, p. 42, note 120).

[118] Hoc 1970, n° 1-4, p. 28-31.

[119] Grégoire de Tours, Historia Francorum, livre IV, par. 50, édit. B. Krusch et W. Levison, M.G.H., SS Rer. Mer., t. 1, Berlin, 1951, p. 187.

[120] Les fouilles sont conduites par Anne Brutsaert sous la direction du professeur R. Brulet, du Centre de recherche en archéologie nationale (CRAN-UCL). Le dernier état de la question a été dressé par Verslype 1999.

[121] Erat siquidem tunc temporis extra eiusdem urbis portam meridianam modica ecclesia in honore beati Martini in monte modico constructa. Heriman de Tournai, Liber de restauratione monasterii Sanctii-Martini Tornacensis, p. 277.

[122] Pour reprendre les termes de Laurent Verslype « Le problème de l’hiatus: l’occupation des VIIe et VIIIe siècles», dans Verslype 1999, p. 150. Le nombre de lignes que l’auteur consacre à cette époque trouble est d’ailleurs significatif de l’historiographie existante à ce sujet: 29 lignes sur un article de 16 pages.

[123] On perçoit mal l’influence qu’a pu avoir le départ de Clovis sur le développement de Tournai. S’il faut se débarrasser de la conception que les modernes se font d’une capitale, on ne peut nier cependant que le choix de Clovis a dû être dommageable pour la cité scaldienne.

On se gardera par ailleurs de surestimer l’importance de Tournai à cette époque. A l’exception -certes notable- du séjour de Chilpéric à Tournai avant 575, les rois mérovingiens ont eu, semble-t-il, la mémoire courte: nulle part, dans l’histoire de la dynastie, la cité n’est vénérée comme le berceau de la royauté franque. Tournai n’est d’ailleurs jamais devenue, malgré la voie tracée par Childéric, un panthéon mérovingien, à l’inverse de Soissons, Paris et Rouen. Voir à ce sujet Pycke 1990, p. 218, note 37. Le choix de Clovis de renoncer à la tradition instituée par son père est un acte politique fort. Cette décision relégua inévitablement Tournai, au surplus géographiquement excentrée, au rang de cité secondaire. La haute aristocratie a du suivre cet exemple royal: le cimetière entourant la sépulture de Childéric à Saint-Brice ne se démarque pas particulièrement par la richesse et la quantité de ses tombes. On est cependant bien loin d’avoir exploré l’ensemble du sous-sol tournaisien: les fouilles futures, notamment celles sous le transept de l’actuelle cathédrale, pourraient nous amener à nuancer un jour ce propos.

Ces réflexions en amènent d’autres: sans la découverte fortuite du tombeau de Childéric à proximité de l’église Saint-Brice en 1653, on peut se demander la place -déjà minime- qu’aurait eu Tournai dans l’histoire de France.

[124] Ce rattachement a dû en tous cas se produire entre 575 (épisode de Chilpéric) et 637/638, date du décès de Achaire, pour lequel la réunion des deux évêchés est attestée. La date de 626/627 correspond au début du l’épiscopat de cet évêque. Pycke 1990, p. 220-221.

[125] Verslype 1999, p. 149.

[126] Ibidem, p. 150.

[127] Pycke 1990, p. 221. L’opinion du professseur J. Pycke est reprise par Verhulst 1999, p.37.

[128] Berings 1986B, p. 435-440.

[129] Verslype 1999, p. 150.

[130] D'Haenens 1967, p. 168.

[131] Erat siquidem tunc temporis extra eiusdem urbis portam meridianam modica ecclesia in honore beati Martini in monte modico constructa… Ipso vero ecclesiola… beati Martini, in cuius veneratione fundatum erat cenobium monachorum a beato Eligio…

(Heriman de Tournai, Liber de restauratione monasterii Sanctii-Martini Tornacensis, p. 295).

[132] Noverit Karitas vestra, fratres dilectissimi, ecclesiam Sancti Martini Modici, que in Monte Modico, prope muros urbis Tornacensis sita est, antiquitus abbatiam fuisse, verum paganis in ipsam civitatem irruentibus destructam, et in laicalem postmodum ditionem redactam, ad nichilum pene devenisse. (Charte de l'évêque de Tournai-Noyon Radbod en 1094, publiée dans Chartes de l'abbaye de Saint-Martin, n°1, p. 1-3).

[133] D'Haenens 1967, p. 164-165.

[134]similiter et de fisco nostro quem Hruoculfus comes in ministerium habet perticas XXXII. (Diplôme délivré à Aix-la-Chapelle le 20 novembre 817 par Louis le Pieux. Edition dans Miraeus et Foppens 1723, p. 1127).

Commentaire dans Pycke 1990, p. 222, note 51.

[135] …quia postulavit nobis vir venerabilis Wendilmarus Tornacensis urbis episcopus, ut terras quasdam fisci nostri in eadem urbe et ei in amplificanda et dilatanda claustra canonicorum in nostra elemosina concederemus. Nos itaque… Irmionem venerabilem abbatem et Ingobertum et Hartmannum, missos nostros direximus, qui hoc praeviderent et juxta quod necessitas ad eandem claustram faciendam exigebat, de fisco nostro ex nostra auctoritate ei consignarent (Miraeus et Foppens 1723, p. 1127).

[136] Pycke 1990, p. 223.

[137] Selon p. Rolland, ce fisc impérial avant 817 ne comprenait ni plus ni moins l'entièreté de l'agglomération sise sur la rive gauche de l'Escaut, et même davantage (Rolland 1931, p. 29-30).

[138] Vercauteren 1934, p. 242-243.

[139] Rolland 1931, p. 27-29.

[140] Vercauteren 1934, p. 243.

[141] … de beneficio Salaconis… sunt in Tornacu sedilia II: de uno exeunt solidi II, de altero denarii VI. Molina II: de utroque exeunt solidi IIII. Sunt ibi camsilariae VI quae redimunt camsiles denariis VIII. Serviunt in aestate…p…ele..sae (Irminon, Polyptique, p. 14).

[142] [37]Urbus fuerat quondam, quod adhuc vestigia monstrant,[38] Tornacus, nunc multiplici prostata ruina[39] Funditus ah! turres deflet cecidisse superbas. [40] Est tamen inde frequens, quod aquis et merce redundat, [41] Nititur et geminis iam non lapsura columnis. [42] Namque arce in media templo surgente venusto [43] Pontificale tenet solium, nec longe remota [44] Nicasius recubat pretiosa martyr in urna, [45]Remorum praesul… (Milon d’Elnone, Vita sancti Amandi, p. 589).

[143] L’unanimité n’est toujours pas de mise au sujet de la nature des fortifications à l’époque carolingienne.

[144] Au moins avant 855, terminus ante quem pour la rédaction de sa Vita S. Amandi, Milon déplore en effet la ruine des superbas turres de l’enceinte romaine: la situation n’a pu qu’empirer jusqu’au passage des normands en 880.

[145] Insuper autem in predicta civitate Tornaco firmitatem antiquitus statutam et nunc destructam denuo ei edificare liceret; monetam equidem ac rivaticum cum mercato et omni eorum undique in eadem civitate teloneo sepedicte ecclesie concederemus… (Actes de Charles III le Simple, p. 1-4, n° 2). Les éditeurs F. Lot et Ph. Lauer datent l’acte entre 893, début de règne de Charles le Simple et 903, date du décès de l’évêque Heidilon. Le millésime 898 vient d’une réflexion de Léon Vanderkindere: à cette date, en donnant divers biens en Hainaut, Charles le Simple voulut déjà revendiquer la Lotharingie. Voir L. Vanderkindere, Formation territoriale des principautés belges au Moyen Age, t. I, Bruxelles, 1902, p. 24-25. Cette datation n’est cependant pas assurée; voir Pycke 1990, p. 229, note 95.

[146] La littérature relative à la nature de l'enceinte épiscopale abonde. C. Dury et J. Nazet ( Dury et Nazet 1983, p. 230-231) ont émis l'hypothèse que le claustrum épiscopal était fortifié indépendamment de l'enceinte gallo-romaine, qui n'englobait donc pas le groupe cathédral actuel. L'existence d'une clôture entourant le groupe épiscopal (le claustrum) depuis 817 peut être aisément postulée; quant à savoir si elle correspond bien à la firmitas de 898, cela semble beaucoup plus douteux. Le diplôme tout d'abord ne parle pas d'une enceinte récente, construite ex nihilo mais bien d'une firmitatem antiquitus statutam, qu'il y a lieu d'identifier avec la fortification héritée du Bas-Empire romain (Voir dans ce sens Rolland 1931, p. 51). Par ailleurs, selon l'hypothèse défendue par ces auteurs, les murs occidentaux de l'urbs du 4e siècle redescendaient vers l'Escaut à partir du beffroi; un sondage archéologique réalisé au pied de la tour en 1996 n'a pas recoupé d'enceinte (Henton 1997). On est dès lors plus enclin à se rallier à l'hypothèse de Raymond Brulet, dont le modèle englobe le groupe épiscopal.

Enfin J. De Meulemeester ( De Meulemeester 1990, p. 132-134), sur base d'une analyse du cadastre tournaisien, défend l'idée de l'existence d'une enceinte semi-circulaire, accolée à l'Escaut, et érigée au début du 11e siècle. Les limites en seraient au nord-ouest le tracé de la future première enceinte communale, au sud la Grand'Place et au sud-est la rue de la Tête d'Or et la rue des Puits l'Eau Cette fortification, vraisemblablement constituée d'un fossé de terre surmonté d'une palissade en bois, rejoindrait le groupe des 22 sites fortifiés de cette manière entre l'Escaut et le littoral. L'élément le plus intéressant en ce qui concerne cette théorie est que la superficie ainsi protégée à Tournai serait la plus importante de tous les sites repérés par J. Demeulemeester. Par ailleurs, la présence d'un Marché-aux-Poissons dans le castrum et d'une place de marché à sa périphérie est commune à un grand nombre d'implantations, entre autres Courtrai, Arras, Termonde, Audenaarde, Douai, Ypres, Saint-Omer, etc. Par ailleurs, toujours selon le même auteur, il faut placer l'enceinte romaine entre la rue des Jésuites et la rue de l'Hôpital Notre-Dame; on aurait dès lors affaire à l'époque carolingienne à un déplacement du centre urbain vers le nord-ouest, un peu comme à Courtrai à la même époque.

[147] Le contraste avec Tournai est frappant, alors que les deux villes connaissent jusque-là un parcours et un développement quasi identiques. Cambrai, comme sa consœur scaldienne, eut un passé romain, fut fortifiée après les incursions du 3e siècle, et connut un grand développement à l’époque mérovingienne, bien que plus tardif et plus important que celui de Tournai. En 880, la ville est ravagée par les Normands. L’évêque Dodilon (888-après 901) entreprend alors de protéger définitivement Cambrai, en élargissant l’ancienne enceinte romaine vers l’est, englobant les nouveaux faubourgs de Saint-Aubert et Saint-Vaast. Il termina également la construction de la deuxième cathédrale, durement touchée par les Normands (Trenard, 1982, p. 15-25).

[148] Chartes de l'abbaye de Saint-Martin, n°1, p. 1-3.

[149] … apud castrum Tornacum…( Charte d'Henri Ier, édition dans Gysseling et Koch 1950, n°92, p. 198);

A° 1054:… Eodemque anno Henricus imperator castrum Tornacum obsedit. (Annales Blandinienses, p. 26)

[150] Pycke 1990, p. 227.

[151] … theloneum etiam prefate civitatis Tornacensis… (Actes de Charles II le Chauve, n° 173, p. 455-459).

[152] … ecclesiarum sancti Quintini de foro beatique Petri de media urbe… Selon Hériman de Tournai, ces deux églises étaient ruinées vers 953, des œuvres de l'évêque Fulcher. L'information sera relayée plus tard par les Historiae Tornacenses (p. 335-336: voir annexes). Malgré la partialité du témoignage, la manière avec laquelle l’abbé de Saint-Martin présente les deux églises montre au moins que Saint-Quentin était installée au milieu du 10e siècle dans un quartier neuf, excentré par rapport au cœur historique de l’urbs, à savoir le quartier de Saint-Pierre. Heriman de Tournai,Liber de restauratione monasterii Sanctii-Martini Tornacensis…, p. 295.

[153] Une chapelle Saint-Pierre in foro est attestée à Valenciennes en 1095, à proximité immédiate du portus et de l’hôtel de ville actuel. Cette chapelle joue un rôle déterminant dans la vie municipale dès le début du 12e siècle, étant située in suburbio -c’est-à-dire en dehors du castrum comtal-, au bord du grand marché alors en plein expansion. Elle devient à l’époque une sorte d’oratoire des marchands valenciennois (Platelle 1976, p. 29-31).

[154] Verslype 1999, p. 156-157.

[155] Ibidem, p. 155, note 39.

[156] Pycke 1990, p. 225.

[157] Chaque monnaie porte le monogramme carolus sur l’avers. Faut-il l’attribuer à Charles le Chauve (875-877) ou à Charles le Gros (884-887)? M. Hoc, suivant en cela Piot, défend la première hypothèse, en raison des événements historiques que connaît alors Tournai. La ville est en effet, en tout ou en partie, détruite par les Normands en 881, et ne semble se relever qu’assez tard dans le siècle, à en croire le diplôme de 898 (Hoc 1970, p. 31). L’atelier monétaire serait donc resté inactif jusqu’à ce que l’évêque en reprenne la direction.

[158] Verslype 1999, p. 154, note 35. Ces monnaies sont reproduites dans Hoc 1970, p. 32-33; Frère 1977, n° 9 (5 exemplaires mentionnés), p. 54; Depeyrot 1993, n° 1024 (975) (6 exemplaires mentionnés), p. 240.

On y lit tornaii dorti ou tornaci porti.

[159] Hoc 1970, n° 10 et 11, p. 35; Frère 1977, n°10, p. 54-55 et Depeyrot 1993, n° 1022 et 1023, p. 240. Ce dernier auteur reprend également un denier attribué à Charles le Simple, frappé entre 898 et 929 (n°1025, p. 240).

[160] Hoc 1970, p. 35. La remarque, qui provient à l’origine de M. Lafaurie, a été reprise par Depeyrot 1993, p. 240.

[161] Rolland P., Deux tarifs de tonlieux de Tournai aux 12e et 13e siècles, Lille, 1935 (Mémoires de la Société d'histoire du droit des pays flamands, picards et wallons, 1).

[162] A° 880: Nortmanni vero Tornacam civitatem et omnia monasteria supra Scaldum ferro et igne devastant, interfectis accolis terrae atque captivatis… (Annales Vedastini, p. 46).

[163] Pycke 1990, p. 228. L'hypothèse de l'exil est également rejetée par D'Haenens 1967, p. 159.

[164] Praesulatum Tornacensis ecclesiae Heidilone viro prudenti et justo possidente, basilica beati Stephani protomartyris, quae sita est post ecclesiam Christi Genitricis semperque Virginis Mariae, destructa est… (Heidilon, Vita Eleutherii Ia et Vita alia, p. 196).

[165] Dumoulin 1971, p. 31-32.

[166] Rolland 1931, p. 33.

[167] Pycke 1990, p. 228.

[168] A l'encontre de P. Rolland qui affirmait que le dernier comte de Tournai, Hilduin, avait cédé la terre fiscale de Tournai avant les dernières incursions normandes en 881, F. Vercauteren a pu démontrer que ce transfert a dû survenir plus tard, entre 884 et 898, en échange de propriétés sises dans le Noyonnais (Vercauteren 1934, p. 244-245).

[169] Kaiser1989, p. 158-160.

[170] Monétaire de Thierry (Hoc 1970, p. 37-38).

[171] Decernimus quoque ut in Tornaco civitate nullus comes vel extraneus judex, se intermittat de districto, aut moneta, vel de rivatico unius partis, nec de theloneo sed, sicut statutum est a pie memorie principibus, sic fixum et inconvulsum permeneat. (Lefranc 1887, n°2bis, p. 180-181).

[172] Ibidem, p. 155 et 157-158.

[173] Voisin 1867, p. 267-268.

[174] La chapelle Saint-Eloi s'élevait jusqu'au milieu du 19e siècle au début de la rue de Saint-Martin; lors de sa démolition, on releva divers vestiges alors datés du 13e siècle, et sous ceux-ci le plan d'une petite chapelle de 11,85 m sur 3,85 m, terminé par une abside circulaire et dans laquelle se trouvait deux tombeaux. Ces vestiges ont à l'époque été datés de la fin de l'époque carolingienne, mais ils pourraient tout autant relever du début du 11e siècle. (Dumoulin 1971, p. 36-37).

[175] La chapelle de Saint-Pierre était voisine de celle de Saint-Eloi et se dressait jusqu'en 1819 au bout de l'actuelle Rue des Primetiers. L'édifice présentait un plan rectangulaire, et passait pour être, au 13e siècle, aussi ancien que la chapelle Saint-Eloi (Ibidem, p. 37).

[176] La chapelle de l'Hôpital , dans la rue du même nom, fut reconstruite au 13e siècle, et disparut comme les deux précédentes au cours du 19e siècle.

[177] La chapelle Saint-Médard est, elle, d'origine plus récente; son destin est lié à celui de l'abbaye de Saint-Nicolas-des-Près.

[178] Ibidem, p. 36.

[179] La vie de saint Machaire fut rédigée par un moine de l’abbaye gantoise de Saint-Bavon vers 1060 (Vita S. Macharii prima, p. 616). On y lit: Othelardus quidam de portu Tornacensi navem lanis honustam advexit. L’Othelardus (ou Adalardus?) en question venait à Gand à l’occasion de la fête de Saint-Bavon, le 1er octobre 1013.

La Vita S. Macharii altera est plus explicite au sujet de ce marchand: Nec illud praetereundum silentio, Adalardus Tornacensis quantum ejus misericordiam sit expertus in judicio. Hic, ut possessoribus moris est, commodorum quaestuum caussa celebritate S. Bavonis instante, navim suam lanis oneravit, et cum ceteris mercatoribus ad idem forum undecumque mercimonia congerentibus Gandavit pervolavit. Ubi cum venale suum exposuisset, et inter ceteros mercatores mercatoriam artem exerceret…

[180] Vita S. Macharii altera, p. 617: Civitas[Tornacensis] est habundans opibus, plena civibus, referta venalibus, populus quoque in ea levis et tumultuosus…

[181] Pycke 1990, p. 231.

[182] La table ronde organisée par le Crédit communal en 1988 a abordé le cas d’Ename (Milis et Callebaut 1990), d'un point de vue tant historique qu'archéologique. L'ensemble du dossier archivistique s'y trouve; inutile donc de faire référence ici à d'autres publications. Citons cependant qu'un article du second auteur, D. Callebaut, a paru quelques années plus tard sur le même sujet (Callebaut 1992). C’est la publication de synthèse la plus récente dont nous ayons eu connaissance. Pour l’archéologie, nous renvoyons le lecteur au chapitre suivant.

[183] Gysseling 1960, p. 318.

[184] Milis et Callebaut 1990, p. 462.

[185] Ibidem, p. 462.

[186] Item nomina de familia sancti Petri qui censum debent dare festivitate sancti Martini ad mensa fratrum:

…Radin denarios II cum fratre suos, villa Ehinham; mortuus. (Gysseling et Koch 1950, n° 49, p. 138).

[187] De villa Iham. Est etiam locus super Scaldum fluvium, quem dicunt Iham, ubi modernis temporibus honorabilis vir comes Godefridus et uxor sua Mathildis, matrona videlicet memorabilis - erat enim suum predium, suis usibus oportunum – castro quidem munito, navigium, mercatum, teloneum, ceteraque negotia statuerunt; infra castrum vero monasterium in honore sanctae Mariae, deputatis canonicis, fundaverunt. Extra autem Herimannus filius duo monasteria struxit, unum sancto Laurentio, alterum vero sancto Salvatori. Nunc igitur locus, utpote noviter instructus, ex omnia sufficientia floret, et tamen esset uberior, nisi crebro hostili incursione quateretur, quod maxime ab inimicis Dei patitur pro stabilitate regni et fidelita te imperatoris.

(Gesta episcoporum Cameracensium, p. 465).

[188] Milis et Callebaut 1990, p. 460.

[189] Vande Walle 1945, p. 225-226.

[190] Ibidem, p. 226.

[191] Milis et Callebaut 1990, p. 467-468.

[192] Faut-il parler de marche ou du duché d’Ename? Les sources divergent: Godefroid est tour à tour mentionné comme duc ou marquis d’Ename, mais aucune source ne site texto l’existence d’une marche d’Ename. Cette dernière dénomination demeure cependant la plus vraisemblable. Voir Milis et Callebaut 1990, p. 468, note 19.

[193] Ex gynaeceo[ginentio] comitis Heinrici(sic) de portu, scilicet Einhamma (Vita S. Macharii prima, p. 616).

[194] Milis et Callebaut 1990, p. 474.

[195] Ibidem, p. 476-477.

[196] Bibliothèque de l’université de Gand, hs 3678. Plan reproduit dans Milis et Callebaut 1990, p. 475, fig. 4.

[197] A la fin du 16e siècle, les «Costumen» décrivent de Sandaerten -appelées Sant aerden sur le plan de Bale-, comme étant les débarcadères où lors du marché annuel, on prélève des taxes spéciales sur les marchandises «lourdes» qui sont déchargées du fleuve à cet endroit. Voir l’explication dans Milis et Callebaut 1990, p. 478-479.

[198] Milis et Callebaut 1990, p. 479.

[199] Les fouilles de A.L.J. Van de Walle dans les années’40 ont permis entre autres la découverte, sous le chœur de la basilique Saint-Sauveur, d’un four de potier (Milis et Callebaut 1990, p. 480-482).

[200] Ibidem, p. 479.

[201] Vande Walle 1945, p. 230.

[202] Voir à ce sujet le chapitre relatif à Tournai.

[203] «Oppidum et castrum munitissimum» selon Sigebert de Gembloux dans l’Auctarium Affligemense (p. 399) en 1005 et «castrum» selon le même auteur en 1033; «castrum» dans les Gesta Episcoporum Cameracensium (p. 465); «castellum» dans le cartulaire de l’abbaye d’Ename (édition dans Piot Ch., Cartulaire de l’abbaye d’Ename, Bruges, 1881, n° 3, p. 5), date indéterminée; «castellum» en 1045 dans les Genalogiae Comites Flandriae (p. 320).

[204] Milis et Callebaut 1990, p. 466.

[205] Milis et Callebaut 1990, p. 466-467. Le plan terrier du donjon a été reproduit p. 464 (fig. 2).

[206] Bien qu’il n’y ait pas, historiquement, d’antériorité du bois et de la terre sur la pierre, ce dernier matériau ne s’est imposé que très tardivement dans les fortifications, au 13e siècle. Michel Bur, qui visiblement n’a pas connaissance du castrum d’Ename, mentionne l’exemple précoce de la motte de Doué-la-Fontaine (France), où une aula résidentielle en pierre de 25 m sur 12 fut transformée, durant la seconde moitié du 10e siècle, en un donjon emmotté (Bur 1999, p. 43-44).

[207] Callebaut et alii 2002, p. 239

[208] On gardera cependant à l'esprit que la répartition du "palais" en aula, camera et capella n'est pas systématique, loin s'en faut. S'il est vrai que d'une manière générale, Annie Renoux distingue trois types de pôles dans ces habitats princiers ou royaux: la cour et basse-cour, le pôle noble (aula - camera -capella) et enfin le pôle domestique; face à des bâtiments dont on n'a conservé que les fondations, on est bien en peine d'affirmer la fonction des pièces mises au jour. Ceci vaut pour le castrum d'Ename, mais également pour Gand et Pétegem. Voir à ce sujet l'article de Renoux 1996.

[209] Milis et Callebaut 1990, p. 467.

[210] Ibidem, p. 467.

[211] Voir à ce sujet Berings 1986A, p. 268.

[212] Van de Walle 1952.

[213] Au sujet de la dénomination de cette chapelle, voir Milis et Callebaut 1990, p. 482, note 47.

[214] Ibidem, p. 487.

[215] Ibidem, p. 484.

[216] Ibidem, p. 487.

[217] Ibidem.

[218] …Nunc igitur locus, utpote noviter instructus, ex omni sufficientia floret, et tamen esset uberior, nisi crebro hostili incursione quateretur, quod maxime ab inimicis Dei patitur pro stabilitate regni et fidelitate imperatoris.

(Gesta episcoporum Cameracensium, p. 465).

[219] 1033: In diebus Ragineri Longicolli traditum est fraudulenter castrum quod dicitur Eiham, et datum est Balduino Barbato, qui castrum funditus destruxit (Sigebert de Gembloux, Auctarium Affligemense, p. 399).

[220] 1034: … Einham destruitur a Baldwino comite… (Annales Elmarenses, p. 90).

[221] Idem Balduinus apud Aldenardam castellum constituit, per quod, everso apud Eham castello, Bracbentum usque fluvium Teneram de regno Lothariensi sibi usurpavit (Genalogiae comitum Flandriae, p. 320).

[222] 1063: Hoc in anno cenobium Eihamense a Balduino comite et Athela comitessa constructum est (Sigebert de Gembloux, Auctarium Affligemense, p. 399).

[223] Gysseling et Koch 1950, n. 158, p. 271.

[224] Milis et Callebaut 1990, p. 488.

[225] Ibidem, p. 488-489.

[226] Ibidem, p. 492.

[227] Ibidem, p. 491.

[228] Vande Walle 1945, p. 234. L’hypothèse du déclin économique d’Ename au profit d’Audenaarde a été reprise par Verhulst 1999, p. 101.

 

[229] A. Verhulst faisait remarquer à juste titre que sans l’implantation des deux abbayes, on ne saurait presque rien de Gand avant le 12e siècle. On se gardera donc d’exagérer l’importance du site sur base uniquement de la quantité d’information écrite dont on dispose à son sujet pour le haut Moyen Age.

Le développement ultérieur de Gand, au bas Moyen Age, et l’importance que connaît toujours la ville actuellement, ont également suscité l’intérêt de nombreux historiens. Les ouvrages portant sur l’histoire de Gand abondent. Les dernières contributions à ce sujet sont essentiellement à mettre à l’actif du professeurAdriaan Verhulst (Verhulst 1989A, Verhulst 1990A, Verhulst 1990B; Verhulst et Declercq 1989), de A.C.F. Koch (Koch 1990) et de l’archéologue de la ville de Gand Marie-Christine Laleman (voir bibliographie). Ces différents auteurs ont été la référence principale pour la rédaction de ce chapitre sur Gand.

[230] Les découvertes remontant à l’époque romaine sont nombreuses à Gand, mais elles sont fort dispersées, chronologiquement comme géographiquement. En attendant d’autres données archéologiques plus précises, on consultera Laleman et Thoen 1989; Laleman 1990, p. 306-310.

[231] Verhulst 1990B, p. 293.

[232] Verhulst et Declercq 1989, p.38.

[233] Le professeur Van Uytven ne croit pas à la connotation défensive du terme municipium, qui selon lui n'est qu'un terme juridique romain synonyme de ville, sans plus. Voir les discussions - études de cas dans le Colloque Crédit Communal 1988, p. 349. Selon A. Verhulst, le mot possède a tout le moins une connotation administrative indéniable, et qui pour Gand s’expliquerait par la mention de la ville comme centre d’un pagus (Verhulst 1999, p.38-39).

[234] … in castro cuius vocabulum est Gandavum… In eodem etiam castro… castrum Gandavum… in loco qui dicitur Gandavum castrum… (Vita S. Bavonis, p. 537, 540 et 545).

[235] Verhulst 1972, p.10-14.

[236] Concernant l’existence d’une fortification autour de Gand et de l’abbaye Saint-Bavon, voir l’argumentation développée dans Verhulst et Declercq 1989, p.39.

[237] Van Bostraeten 1972, passim.

[238] Il est malaisé d’apprécier l’influence qu’a pu avoir l’installation de deux abbayes aux alentours immédiats de Gand sur le développement ultérieur de la ville. On peut toutefois affirmer qu’une agglomération déjà importante existait au confluent de la Lys et de l’Escaut ou à proximité avant l’arrivée du missionnaire Amand, en 629. Par ailleurs, dès le 12e siècle et probablement auparavant, Saint-Pierre et Saint-Bavon ont constitué de véritables villages abbatiaux, avec leurs églises, bâtiments claustraux et dépendances propres. Ces ensembles, indépendants géographiquement et juridiquement du centre urbain, devraient donc idéalement être étudiés à part. Il faut en tous cas se garder, même si l’hypothèse est tentante, de déduire automatiquement des heurs ou malheurs des deux abbayes une prospérité ou un déclin équivalents pour l’agglomération gantoise.

Voir à ce propos Verhulst 1990A, p. 37.

[239] Voir la chronologie fournie Verhulst et Declercq 1989, p.39-41.

[240] Ibidem, p.41-42.

[241] Verhulst 1990B, p. 293-294.

[242] Verhulst et Declercq 1989, p.44.

[243] A. Verhulst situe ces chantiers navals au nord de l’agglomération, sur la rive droite de la Lys, un peu en amont du confluent avec l’Escaut. A cet endroit en effet la Lys se divisait en de multiples petits bras et le quartier –Houtbriel, c’est-à-dire entrepôt de bois- était habité plus tard par de nombreux menuisiers (Verhulst et Declercq 1989, p.49).

[244] A° 811: Inde ad Scaldim fluvium veniens in loco, qui Gand vocatur, navis ad eandam classem aedificatas aspexit et circa medium novembrium Aquas venit (Annales regni Francorum, p. 135).

[245] Verhulst 1990B, p. 294.

[246] Verhulst et Declercq 1989, p.49.

[247] Depeyrot 1993, p. 155, n°444.

[248] Frère 1977, p. 51-52, n°3, 4 et 5; Depeyrot 1993, p. 155, n° 441, 442 et 443.

[249] [1er octobre]: In portu Ganda, (festum) sancti Bavonis confessoris. (Usuard, Martyrologium, p. 313).

[250] …Balduinus, abba monasterii quod vocatur Blandinius a sancto Amando in vico Gandavo constructus… (Actes de Charles II le Chauve, n° 337, p. 244-248).

[251] Verhulst et Declercq 1989 p.49.

[252] Verhulst 1990B, p. 294.

[253] Niermeyer 1962, p. 816-817.

[254] Verhulst 1999, p.55.

[255] Ibidem, p. 75-77.

[256] Verhulst et Declercq 1989, p.50.

[257] Ibidem, p.50. Une carte du site y est reproduite. Voir également, pour les détails archéologiques: Laleman 1990, p. 310-312.

[258] Le matériel découvert dans le fossé n’a pas permis de fixer une datation précise. Une couche de charbon de bois a pu être datée à 95 % par analyse du carbone 14 à avant 882. Le reste des analyses ont fourni du matériel s’échelonnant de 978 à 1159: il semble donc établi qu’avant la fin du 10e siècle, le fossé était en grande partie comblé, et pratiquement sans utilité. Voir Laleman 1990, p. 311-312.

[259] Verhulst et Declercq 1989, p.52.

[260] Les fouilles menées dans les années’50 sous le bâtiment actuel n’ont pas permis de déceler des traces de construction antérieure au 12e siècle, mais comme l’a justement indiqué Marie-Christine Laleman, rien ne dit que les constructeurs de l’église romane n’ont pas, en creusant les fondations du nouvel édifice, enlevé toutes traces de bâtiments antérieurs (Laleman 1990, p. 312; Verhulst 1990B, p. 294).

[261] Verhulst 1990B, p. 297.

[262] Verhulst et Declercq 1989, p.49.

[263] Ibidem, p.51.

[264] Verhulst et Declercq 1989, p.45.

[265] Ibidem, p.45-46.

[266] Ibidem, p.46.

[267] F. De Smidt, Opgravingen in de Sint-Baafsabdij te Gent. De abdijkerk, Gand, 1956. Voir également Laleman 1990, p. 309-310.

[268] Adriaan Verhulst avait pourtant durant longtemps tenu le discours inverse (Verhulst et Declercq 1989, p.46-49).

[269] Ibidem, p.46.

[270] Ibidem, p.46.

[271] A° 851: Post haec pyratae Danorum Fresiam et Batavos populantur; sed et usque ad monasterium Sancti Bavonis quod Gant dicunt debachantes, idem monasterium incendunt; …(Annales Bertiniani, p. 41). Passage repris plus tard par l'auteur des Miracula S. Bavonis (p. 592).

[272] Verhulst et Declercq 1989, p.52-53.

[273] Mention du campement dans les Annales Vedastini (p. 45), les Annales Blandinenses (p. 14), les Annales Elmarenses (p. 83), les Annales Elnonenses (p. 147) et repris plus tard dans les Miracula S. Bavonis (p. 592): texte transcrit en annexes.

[274] Verhulst 1990B, p. 296.

[275] Verhulst et Declercq 1989, p.52-53.

[276] Ibidem, p.59-60.

[277] L’histoire des deux abbayes du passage des Normands en 880 au 11e siècle, et notamment leur restauration au 9e siècle et le conflit qui les a opposées par la suite, peuvent en soi faire l’objet d’un mémoire historique (Ibidem, p.53-56).

[278] Verhulst 1990B, p. 296.

[279] Voir, avec carte à l’appui: Verhulst et Declercq 1989, p.56-57.

[280] Verhulst 1990A, p. 303. Concernant le château comtal, voir également H. Van Werveke et A. Verhulst, Castrum en Oudburg te Gent, dans Handelingen van de Maatschappij voor Geschied- en Oudheidkundig te Gent, n° 14, 1960, p. 3-62. Les fouilles menées en 1980 et 1981 ont permis de retracer l’évolution de l’édifice, de la résidence de bois à la forteresse du 12e siècle (voir catalogue archéologique ci-après).

[281] La question se pose de la nature du lieu et sa destination avant la construction du château comtal. On a trouvé des traces romaines, sous le Gravensteen. Selon A. Verhulst, on rencontrait, avant le 10e siècle, une population à prédominance artisanale, jouxtant un grand domaine agricole. Au début du 10e siècle, le centre d’exploitation agricole fut reconstruit dans le sud-ouest de l’île, et les alentours fortifiés. Voir Verhulst et Declercq 1989, p.57 et Verhulst 1990A, p. 303.

[282] … l’expansion du nouveau portus le long des deux rives de la Lys ne doit pas être attribuée en premier lieu à une importance accrue de cette rivière dans les échanges commerciaux à grande ou moyenne distance, au sujet desquels on ne dispose d’ailleurs d’aucune indication. Vers l’année 1000, l’Escaut est toujours, semble-t-il, la principale voie de communication et de commerce: ainsi le transport de la laine provenant de Tournai se fait par l’Escaut (Verhulst et Declercq 1989, p.58).

[283] Verhulst 1990B, p. 296-297.

[284] … mansioniles omnes in portu Gandensi cum census earum et cum omni decima… capellam insuper que in eodem portu constructa nuper populo fuerat…(Pirenne 1895, p. 125-126);

…id est censum quod accipitur de mansionibus que site sunt in portu Gandavo a flumine Scalda usque ad decursum fluminis Legie et decimam quam… exsolvere debent in ipso commanentes portu;…(Gysseling et Koch 1950, n°53, p. 145).

[285] Ut quoddam monasterium, in honore beatorum apostolorum Petri et Pauli constructum, situm super fluvium Scaldum juxta portum Gandavum, quod antiquitus vocatum est Blandinium… in ipso quoque portu omnes mansioniles, cum ecclesia in eo sita; extra portum quoque, secundum ambitum prefatorum duorum fluminum…(Gysseling et Koch 1950, n°60, p. 156).

[286] …omnes mansioniles ultra Legiam de portu Gandavo…(Gysseling et Koch 1950, n°135, p. 229).

[287]Verhulst 1990B, p. 297.

[288] Verhulst et Declercq 1989, p.58-59.

[289] Ibidem, p.60.

[290] Vers 1010: In portu quoque eorundem Flandrensium nomine Gandavo quidam clericus erat…( Olbert de Gembloux, Miracula sancti Veroni, p. 752).

En 1038: Hoc est in primis a portu Gandensi omnem terram quae adjacet inter decursus duorum fluminum Legiae et Scaldis usque…, censum de mansionilibus qui sunt in ipso portu…( Gysseling et Koch 1950, n°92, p. 197).

[291] La Vita S. Macharii prima (vers 1013, p. 616) mentionne à plusieurs reprises le portus: Alia mulier de portu Gandensi… Matrona … de ipso portu Gandensi…

[292]Nec illud praetereundum silentio, Adalardus Tornacensis quantum ejus misericordiam sit expertus in judicio. Hic, ut possessoribus moris est, commodorum quaestuum caussa, celebritate S. Bavonis instante, navim suam lanis oneravit, et cum ceteris mercatoribus ad idem forum undecumque mercimonia congerentibus Gandavum pervolavit. Ubi cum venale suum exposuisset, et inter ceteros mercatores mercatoriam artem exerceret…

(Vita S. Macharii altera, p. 617).

[293] Verhulst 1990B, p. 297.

[294] Un article relativement récent de Tony Oost et Raymond Van Uytven (Oost et Van Uytven 1990) a servi de fil conducteur pour la rédaction de ce chapitre consacré à Anvers. Cette contribution est la synthèse de tout ce qui a paru antérieurement sur la question, dont Verhulst 1978; Oost 1982A; Oost 1982B; Van Isacker et Van Uytven 1986. H. Rombaut en 1987 a repris et critiqué l'ensemble du corpus des sources écrites mérovingiennes (Rombaut 1987). Pour la période romaine, le dernier bilan est à mettre à l’actif de Oost 1993.

[295] Oost et Van Uytven 1990, p. 333.

[296] Oost 1993, p. 14.

[297] Oost et Van Uytven 1990, p. 335.

[298] Verhulst 1978, p. 38, note 14.

[299] Van Loon 1987.

[300] Oost 1982A, p. 18-19.

[301] Van Isacker et Van Uytven 1986,p. 33-34. Les auteurs ont pu établir, sur base de la toponymie des environs immédiats d’Anvers, que les Frisons ont alors étendu leur emprise sur la rive droite de l’Escaut jusqu’à quelques kilomètres à peine de la ville.

[302] Oost et Van Uytven 1990, p. 335.

[303] Ibidem, p. 335-337. L'existence d'un atelier de frappe mérovingien a notamment été remise en cause dans Van Isacker et Van Uytven 1986, p. 31.

[304] Testamentum quod fecit Rohingus de aecclesia in Antwerpo castello et de theloneo, sicut prediscimus…

Igitur ego… Rauchingus et coniunx mea bebelina donamus… Willibrordo… aecclesiam quae constructa est infra castrum Antwerpis super fluvium Schaldae, quam… domnus Amandus pontifex in honore sancti Petri et Pauli apostolorum principium vel caeterorum sanctorum construxit…( Monumenta Epternacensia, 63-64).

[305] Van Isacker et Van Uytven 1986, p. 32.

[306] A° 836: Nordmanni Andwerpam civitatem incendunt… (Eginhard, Annales Fuldenses); A°836… Nordmanni Andwerpam urbem, et in ostiis Mosae situm Witlam emporium incendunt…( Heriman d’Augia, Chronica, p. 103); A° 837: Northmanni Gallias graviter infestant, Dorestatum vastant; Andoverpum oppidum et Witlant emporium.. incendunt…( Sigebert de Gembloux, Chronica, p. 339).

 Voir à ce propos D'Haenens 1967, p.43.

[307] Incid. anno Domini 844… Continet autem Lotharingia has nobiles civitates,… Item… Gandavum, Lovanium, Bruxellam, Antwerpium …( Gestarum abbatum Trudonensium, p. 373-374).

[308] Item nomina de familia sancti Petri qui censum debent dare festivitate sancti Martini ad mensa fratrum:

…Gontso denarios II in vico Anuuerpis; mortuus. (Gysseling et Koch, n°49, p. 138).

Van Isacker et Van Uytven 1986, p. 32.

[309] Critique de cette théorie dans Oost 1982A, p. 22-23.

[310] Ibidem, p. 32. Tony Oost a lui rejeté totalement l'hypothèse de l'existence d'une fortification à Anvers d'origine tardo-carolingienne (Oost et Van Uytven 1990, p. 343).

[311] Van Isacker et Van Uytven 1986, p. 32 et 36. Cite l'ouvrage de P. De Coster, Découverte de monnaies carlovingiennes à Eeckeren, dans Le Numismate, 15 juillet 1862, p. 37.

[312] … Andouerpis castro… (Gysseling et Koch, n°138, p. 242).

[313] Adriaan Verhulst émet l’hypothèse que l’absence de découvertes archéologiques substantielles relatives au haut Moyen Age d’Anvers serait due à la dissémination de l’habitat le long de l’Escaut (Verhulst 1999, p. 40).

[314] Van Isacker et Van Uytven 1986, p. 38.

[315] Oost et Van Uytven 1990, p. 343.

[316] Ibidem, p. 343.

[317] Callebaut 1987B, p. 188-194.

[318] Callebaut 1987B, p. 188-194; Oost et Van Uytven 1990, p. 343.

[319] Oost 1985, p. 154.

[320] Oost et Van Uytven 1990, p. 344.

[321] … in portu Antwerpensi… (Monumenta Epternacensia, p. 28). L'agglomération est également cité de la sorte dans la Vita Berlindis: …portus Antwerpensium…(Vita Berlindis, p. 383).